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    Alexandre Peutin (Cité du design) : « Favorisons la création de boucles, plutôt que la conception de matériaux recyclables »

    Le responsable de la matériauthèque de la Cité du design, à Saint-Etienne, appelle de ses vœux à une prise de conscience de la finitude des choses et, afin d’y faire face décemment, à un changement total de paradigme. Sans nécessairement intellectualiser ou développer des matériaux toujours plus complexes, mais en revenant à des notions de bon sens, dans un même élan collectif, où chacun doit prendre sa part de responsabilité.

    En quoi le sujet des matériaux est-il universel ?

    Les matériaux parlent à tout le monde parce qu’on en est littéralement entouré au quotidien. C’est d’autant plus vrai quand on rentre dans une matériauthèque. On redevient un enfant, car nos sens sont en éveil. On peut toucher, sentir. Les matériaux constituent aussi un formidable vecteur pédagogique permettant, par exemple, de parler de sujets abstraits avec facilité. Il est possible d’aborder tous les sujets avec ce prisme. Et dernier élément, tout un chacun peut exprimer un avis sur un matériau, sans nécessairement parler de technique : on peut le trouver intéressant parce qu’il semble solide, parce qu’on le trouve esthétique, etc. Les matériaux génèrent des discussions.

    Dans la sphère professionnelle, c’est pareil. La question du matériau touche tous les secteurs d’activité, surtout à notre époque, à l’ère de l’interrogation de la gestion des ressources, de la remise en cause de nos comportements de consommation, ou de la fin du fantasme de la croissance illimitée. Quand faut-il utiliser un matériau ? Quand faut-il dématérialiser ? Ces deux questions apparaissent de plus en plus prégnantes.

    L’intelligence artificielle promet de développer des matériaux plus vite, et même « mieux », selon certains experts. Qu’en pensez-vous ?

    Avant toute chose, la question fondamentale à se poser est simple : a-t-on besoin de nouveaux matériaux ? Et, pour en créer un, doit-on toujours puiser dans des ressources naturelles ? C’est ça l’enjeu. On peut concevoir de nouveaux matériaux, mais il faut que nous sortions de ce système linéaire qui comprend extraction, transport et transformation.On produit des choses, on utilise et on les jette. Dans un monde fini tel que le nôtre, cela n’a aucun sens. Il faut s’inspirer de la nature et adopter un système cyclique. En ce sens, si on crée de nouveaux matériaux à partir de nos déchets, c’est un bon point de départ, mais cela ne suffit pas.

    L’intelligence artificielle peut nous aider à créer des boucles. C’est la raison pour laquelle je ne suis pas contreces nouvelles technologies, parce qu’il s’agit d’une aide. Toutes les entreprises et les secteurs qui sont en train de tester l’IA affirment que cela représente un complément intéressant dans une phase de réflexion ou de mise en œuvre. Elle peut contribuer à optimiser et à fluidifier des process. Mais il faut faire preuve de discernement et ne pas en mettre partout. L’humanité a toujours créé de la technologie pour s’affranchir de certaines tâches. Mais maintenant, avec la robotique, les algorithmes et l’intelligence artificielle, deux systèmes se créent en parallèle, dont un qui s’inscrit hors de la temporalité biologique. C’est un basculement qui pourrait rendre l’être humain obsolète. Il est donc nécessaire d’interroger notre rapport à cette technologie. Dans toute innovation, il existe une phase de destruction, puis de reconstruction. Nous devons d’ores et déjà y réfléchir avec l’IA.

    Le recyclage des matériaux représente-t-il la panacée pour gagner en responsabilité ?

    Je rencontrebeaucoup d’entreprises qui me présentent de nouveaux matériaux. Ils se disent pour la plupart engagés pour l’environnement, et quand je leur demande pourquoi, une majorité me répondent que leur matériau est recyclable. C’est une bonne chose dans l’absolu, mais, selon moi, notre levier d’action ne doit pas être de créer un nouveau matériau recyclable. Il en existe déjà des quantités astronomiques. Le vrai sujet, c’est changer les mentalités afin qu’on puisse créer des boucles, car une croissance exponentielle ne fonctionne pas. Il suffit d’observer la nature, qui possède des milliards d’années d’expérience et d’innovation : tous les arbres stoppent leur croissance.

    Sur le plan de la consommation d’énergie, il existe des solutions alternatives. Au Zimbabwe, par exemple, un bâtiment de commerces et de bureaux est devenu un emblème de l’architecture biomimétique, en s’inspirant du principe de la termitière. L’air frais est stocké à l’intérieur, tandis que la chaleur s’évacue vers l’extérieur. Dans les cavités, la température se maintient à moins de 30 °C, même lorsqu’il fait 40 °C dehors. On évite de faire appel à une climatisation et le bâtiment consomme 90 % d’énergie en moins qu’un immeuble classique. Donc on sait faire, mais on préfère construire des bâtiments ayant une durée de vie de 30 ans, pour nourrir l’économie. Les Romains bâtissaient, eux, pour des siècles…

    Lorsque vous êtes sollicité par des entreprises à la Cité du design, sentez-vous une réelle conviction ?

    Nous sommes de plus en plus interrogés, et par tous types de secteurs professionnels. Une dizaine d’années en arrière, 2 personnes sur 10 s’intéressaient réellement à l’environnement et l’écologie. Aujourd’hui, ce ratio est plutôt de 8 ou 9 personnes sur 10, donc il existe une réelle évolution. On a franchi un cap. A présent, tout le monde a conscience que c’est un sujet de préoccupation incontournable. Les entreprises sont a minima obligées d’en parler.

    En revanche, encore trop de personnes pensent qu’en changeant un matériau, en particulier en faisant appel au recyclable, on s’inscrit dans une démarche écologique, qu’on fait sa part du travail et qu’on doit s’arrêter là. C’est une illusion. Pour agir de façon juste et favorable pour la nature et l’humain, le chemin est encore long. Pourquoi ? Parce que toute entreprise impliquée dans le développement durable doit être rentable. Si ce n’est pas le cas, malgré une conviction réelle, son activité s’arrêtera. Il s’agit d’une problématique fondamentale, qui doit nous interroger. Et de manière plus générale, il existe des manières obsolètes d’agir et il faut qu’on apprenne à les changer.

    Comment cela pourrait-il se concrétiser dans le secteur de la communication visuelle ?

    Il faut assumer le fait de ne pas présenter une nouveauté intégrale en termes de communication. Dans le graphisme, on est capable de concevoir des dispositifs visuels modulables qui permettent, avec trois ou quatre éléments permanents, de créer des combinaisons à l’infini. Il s’agit d’un processus souvent plus complexe que de partir d’une feuille blanche, mais c’est aussi plus intéressant en termes de démarche intellectuelle. L’idée est toujours de réfléchir à la création d’une boucle. Cela demande du courage, car, dans l’évènementiel notamment, on agit souvent dans l’urgence et on se doit de proposer de la nouveauté, par peur de ne plus attirer les publics.

    De la même façon, un matériau s’use avec le temps, mais, dans le cadre d’un évènement récurrent, nous devons être en capacité de réemployer l’existant et de créer une forme de nouveauté qui va durer 3 ou 5 ans. Ce n’est peut-être pas une solution idéale, mais on gagne un peu de temps. Si chaque événement s’en empare, nous réduirons considérablement notre impact environnemental. C’est une question de volonté, d’éducation et de culture. Il faut qu’on travaille tous ensemble à notre niveau, particuliers ou entreprises, et qu’on fasse preuve de pédagogie. Aucune civilisation et aucun être vivant ne gère pas ses ressources, excepté l’être humain qui, selon beaucoup, serait le plus intelligent. Mais nous sommes le seul être vivant qui détruit son lieu de vie. Il faut que ça s’arrête.

    Bertrand Genevi est rédacteur en chef d'IC Le Mag. Il possède dix ans d’expérience dans les médias (L’Express, 20 Minutes, Prisma Média) et en agence de communication (Hopscotch).