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Vangart, broderie d’avant-garde

Depuis Lyon, Vangart perpétue la tradition textile de la ville avec un projet singulier : fabriquer, produire et diffuser des toiles brodées de street art. À la tête de cette jeune entreprise, naviguant entre art contemporain et artisanat, un entrepreneur de moins de 30 ans, Benjamin Beau, qui ne manque pas d’ambition.

21,8 millions d’euros. C’est le prix de l’œuvre de street art la plus chère au monde, elle est signée Banksy. Aujourd’hui reconnu comme une branche légitime de l’art contemporain, l’art urbain déchaîne les passions dans les salles des ventes. Mais il déclenche aussi des vocations. C’est l’histoire du lyonnais Benjamin Beau, 27 ans.

Entrepreneur dans l’âme, Benjamin Beau décide de lancer, pendant ses études de commerce, une marque de vêtements intégrant des motifs brodés, créés par artistes émergents du monde du street art. Il vend les produits comme des œuvres d’art, en séries limitées, numérotés au col, avec un certificat d’authenticité. L’aventure connaît un succès d’estime, mais Benjamin Beau veut aller plus loin, et passer du merchandising à l’édition d’art. En 2021, il a l’idée de broder des œuvres sur des toiles, en collaboration avec des artistes français et internationaux. Vangart est née.

ŒUVRES UNIQUES ET ÉDITIONS LIMITÉES

Si Benjamin Beau apprécie l’aspect qualitatif et durable de la broderie, il n’en maîtrise pas les codes. Il s’initie à cette technique auprès de Crafters, des spécialistes du marquage textile basés à Villeurbanne. Le jeune homme apprend vite, et, fort d’un réseau de street artistes adhérant au projet, il lance un premier « drop » (cette technique consiste à commercialiser des produits exclusifs en petite quantité, en les teasant au préalable sur les réseaux sociaux, ndlr). Et ça marche ! Dès le premier jour, il vend une vingtaine de toiles, dont la moitié aux États-Unis. Chaque œuvre est créée en exclusivité pour Vangart.

Aujourd’hui, l’offre se compose à la fois d’œuvres uniques et d’éditions limitées. Les premières sont des tableaux grand format – jusqu’à 1,5 x 1,5 m – réalisés dans le cadre d’expositions ou d’événements. Les éditions limitées sont issues d’une œuvre existante. Cette pratique est répandue dans le monde de l’art. Dès qu’une création devient majeure, on en fait un tirage, en format réduit, afin que le grand public puisse se la procurer. Selon la cote de l’artiste, l’entreprise propose des éditions limitées de 10 à 50 exemplaires, de format inférieur à 50 x 50 cm.

Les prix des œuvres oscillent entre 300 et 900 euros pour une édition limitée. Pour les grands formats, les chiffres grimpent ostensiblement. Dans le cadre d’une pièce de l’artiste Chanoir, pour une exposition à Paris, on atteint les 30 000 euros. Vangart conserve les droits de ses productions et l’artiste prend une commission sur les ventes. « Nous ne possédons pas de galerie ou de point de vente physique, mais nous agissons comme un galeriste car nous défendons et diffusons des œuvres d’art », indique Benjamin Beau dont les ventes sont en majorité réalisées en France, de l’ordre de 65 %.

2,5 MILLIONS DE POINTS

Quatre personnes travaillent aujourd’hui avec Benjamin Beau sur les aspects techniques, car, même après une soixantaine de projets, les productions s’avèrent parfois délicates. Sur la base d’un fichier numérique ou d’une simple photo de l’œuvre, Vangart remplace les aplats de couleurs par des aplats de fils grâce à un logiciel. La brodeuse est ensuite programmée, sous la supervision d’un opérateur. Une édition limitée demande entre trois et huit heures de travail, et pour les œuvres uniques, le temps de production peut aller jusqu’à quatre jours, comme ce fut cas récemment avec une toile de 2,5 millions de points de broderie.

 « Faut-il broder verticalement ou horizontalement ? Mettre plus ou moins d’épaisseur ? Réaliser une sous-couche ? Le processus technique est long pour obtenir une œuvre équilibrée », explique le dirigeant. Le tissu brodé est ensuite tiré sur un châssis, puis signé et numéroté au dos par l’artiste. Lors de la vente, un certificat numérique d’authenticité est délivré.

« Certaines œuvres se sont littéralement révélées grâce à la broderie », Benjamin Beau, fondateur de Vangart

La broderie apporte une touche particulière aux œuvres habituellement réalisées avec de la peinture. La composition change, ainsi que les formes. Des nuances apparaissent, ainsi que relief, « pour le plus grand bonheur des street artistes ». « Certaines œuvres se sont littéralement révélées grâce à la broderie », affirme Benjamin Beau. Le fond de la toile joue un rôle majeur. La matière utilisée, qu’il s’agisse de jean, de velours ou de lin, ainsi que sa couleur, influent sur le rendu et l’originalité de l’œuvre. Une réflexion commune se crée avec l’artiste afin d’obtenir une œuvre fidèle à son univers.

Le choix des fils de broderie constitue un autre élément d’importance dans le processus de création. Le panel de l’offre est des plus larges, entre des fils mats, brillants, métalliques ou encore phosphorescents.

À date, la principale limite technique de Vangart tient dans l’élaboration de dégradés de couleurs, un effet répandu en street art. Mais la parade existe. « Nous projetons d’investir dans la technologie Coloreel pour y parvenir », promet le jeune entrepreneur. Apparue sur le marché en 2022, La technologie Coloreel est une innovation suédoise qui permet de teindre le fil au fur et à mesure de la broderie, ce qui permet de multiplier les effets : dégradés, création de lignes contrastées, etc.

1 MILLION D’EUROS EN 24H

Les questions techniques s’inscrivent au cœur de la feuille de route de Vangart, qui n’aime rien tant que se challenger. Sa prochaine étape : réaliser de « véritables » œuvres textiles, impliquant différentes techniques, avec l’aide d’une couturière. L’objectif est de coudre des perles ou des fermetures éclairs sur les toiles, par exemple.

Pour assurer son développement, Vangart s’installera en mars 2024 dans le nouveau tiers-lieu Bel Air Textile, à Villeurbanne. Les compétences et les machines y seront mutualisées avec Crafters afin de créer de l’émulation et réduire les coûts de production. Un parc de 60 têtes de broderie sera installé, de quoi laisser cours à l’expérimentation.

En attendant, le défi numéro 1 en 2024 pour Vangart est d’aller chercher des artistes encore plus cotés. « Si nous parvenons à collaborer avec un artiste comme Invader, par exemple, cela nous permettrait de réaliser des projets encore plus ambitieux. Car la vente d’une édition limitée avec lui pourrait atteindre un million d’euros en 24h », s’enthousiasme Benjamin Beau. En attendant de décrocher le gros lot, le dirigeant reste dans le concret : il va lancer, dans les semaines à venir, une nouvelle entreprise de broderie dédiée à l’art contemporain de façon générale, baptisée Göta. De quoi jouer sur tous les tableaux.

Visuels © Vangart

Détenteur d’un MBA en Management stratégique (Université Laval, Canada) et d’une Maîtrise de gestion (Paris IX Dauphine), Bertrand Genevi possède dix ans d’expérience dans les médias (L’Express, 20 Minutes) et en agence de communication (Hopscotch).