Quentin Hirsinger ne se présente pas comme un expert en matériaux ou un chantre du développement durable, mais plutôt comme un curieux de la matière. Pas moins de 9 000 références extraordinaires composent sa matériauthèque virtuelle MatériO. S’il rappelle la nécessité d’adapter l’utilisation de chaque matériau au contexte de chaque magasin et de cultiver un esprit critique, le problème de responsabilité du retail est selon lui plus profond et demande une réponse plus globale, à l’échelle de la société.
Quelle est la genèse de MatériO ?
Il y a 25 ans, MatériO a été lancé comme un cabinet de curiosités, en partant du principe qu’il pouvait être intéressant pour des créatifs de découvrir des matières avec lesquelles ils n’ont pas l’habitude de composer. Par exemple, les professionnels du packaging utilisent le papier et le carton, mais ils ne connaissent pas forcément le tissu métallique servant à la filtration de gaz dans l’industrie pétrolière, qu’ils pourraient tout à fait employer dans leur secteur. Nous œuvrons à un grand décloisonnement, pour contribuer à la réflexion des marques souhaitant sortir des sentiers battus, mais aussi pour extraire des matériaux enfermés dans un secteur. On parle de fertilisation croisée.
Êtes-vous de plus en plus sollicités par des acteurs du retail sur des questions de responsabilité environnementale ?
Depuis la création de l’entreprise, nous sommes interrogés pour des briefs créatifs plus ou moins contraints par des questions environnementales. Mais on se bat contre l’idée qu’il y existerait ex-nihilo des matériaux qui seraient bons et d’autres qui seraient mauvais pour la planète. Il est déraisonnable d’estimer formellement que le papier et le bois sont peu impactants, que le métal consomme beaucoup d’énergie, et que le plastique représente le mal absolu. Ce dernier peut représenter une catastrophe dans un contexte donné et la meilleure des solutions dans un autre.
Avant de parler matériaux, il faut penser au projet. Si celui-ci est cohérent d’un point de vue environnemental, il est ensuite nécessaire de s’attacher à utiliser les matériaux les plus adéquats. C’est un renversement de paradigme. Il n’existe pas de bons ou de mauvais matériaux, certains sont plus judicieux que d’autres selon les projets. Le poids, la tenue dans le temps ou tout autre élément peut justifier un choix. Il est dangereux de simplifier, car cela encourage les comportements opportunistes. Quand une marque affirme qu’elle utilise des matériaux responsables dans ses magasins, cela peut lui offrir le droit de fonctionner comme avant, en s’achetant une nouvelle virginité. Chez H&M, le vrai problème n’est pas l’aménagement des magasins, c’est la logique de la « fast fashion » et la surconsommation à outrance.
« On se bat contre l’idée qu’il y existerait ex-nihilo des
matériaux qui seraient bons et d’autres qui seraient
mauvais pour la planète. Avant de parler matériaux, il
faut penser au projet ».
Quels sont les leviers d’action des marques dans ce contexte ?
Je ne suis pas un expert du développement durable, mais je suis navré de dire que les grandes marques de luxe qui nous sollicitent ne le sont pas non plus. Néanmoins, je comprends la position de mes interlocuteurs. Ils cherchent à rendre leur magasin plus responsable par le biais des matériaux. C’est une première piste, mais elle reste anecdotique. Prévoir un aménagement de boutique qui vive sur la durée, plutôt que d’être modifié tous les deux ans, constitue un levier bien plus impactant. De la même façon, on doit, dès la conception d’un nouvel espace, imaginer une seconde vie pour tous les éléments utilisés, en montant une filière de récupération avec Emmaüs, par exemple.
Vous faites le choix de ne pas analyser les matières que vous dénichez. Pourquoi ?
Nous ne sommes pas un laboratoire. On met en exergue des matériaux innovants ou atypiques. Quand un fabricant nous dit qu’une matière possède une particularité, on lui fait confiance, mais en éliminant son discours marketing. Si on prend l’exemple d’un cuir vegan, le fabricant me pose un premier problème : le cuir ne peut pas être vegan par essence, il est d’origine animale. Dans la composition, s’il est annoncé qu’il s’agit d’un textile enduit de polyuréthane avec 20 % de déchets de pommes, je m’en tiens à cela. Nous n’affirmerons jamais sur notre site que ce matériau respecte l’environnement, car nous n’en savons rien. Mais libre au fabricant de discourir sur cet aspect. Je ne suis pas là pour juger ou censurer, mais pour inciter à l’esprit critique.
Photos : © MateriO