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Géraldine Poivert, présidente de (Re)Set : « La transition environnementale est un sport qui se gagne en équipe »

Après un passage dans la grande distribution et à la direction des éco-organismes Ecofolio et Citeo, Géraldine Poivert a cofondé (Re)Set, un cabinet de conseil dédié à la transition environnementale, en 2019. Par ailleurs ambassadrice du plan d’investissement étatique « France 2030 », en charge du recyclage et des matériaux durables, elle milite pour une urgence de l’action, conciliant considérations économiques et environnementales. Sa solution : investir massivement, mettre en commun et adopter une démarche globale autour des ressources planétaires, en lieu et place du seul prisme carbone.

Vous vous définissez comme une « révolutionnaire pragmatique ». Qu’entendez-vous par là ?

Nous avons une conviction chez (Re)Set : la transition environnementale n’est plus une option ! Les logiques de sobriété, recyclabilité, réemployabilité, décarbonation et maintien de la biodiversité s’imposent à nous. Mais quand on parle de transition environnementale, on se trouve souvent coincés entre, d’une part, les climatosceptiques et, d’autre part, un groupe appelant à la décroissance. De mon côté, je ne me définis pas comme une optimiste, mais comme une femme volontaire. C’est la raison pour laquelle je défends une voie conjuguant économie et écologie, en changeant les modes de production et de consommation. Cela ne se fait pas en un claquement de doigt, parce qu’on a perdu l’audace de la nuance. Il est difficile d’évoluer depuis les Trente Glorieuses, au cours desquelles on pensait que les ressources et le capital naturel étaient infinis, en se basant sur une chimie de matériaux pétrosourcés. En 2024, faire mieux demande beaucoup d’investissement et d’énergie. Donc s’inscrire dans la realpolitik et être une révolutionnaire pragmatique, c’est croire en des solutions et les mettre en œuvre. L’heure n’est plus à la prise de conscience ou aux diagnostics. Il faut agir.

Dans un contexte où la lutte contre le changement climatique perd du terrain, comment relancer la machine et installer, pour de bon, une dynamique vertueuse ?

C’est une très bonne question, parce qu’en effet, je crois que nous avons raté quelque chose. Au sein de l’Union Européenne, les réglementations se succèdent et, pourtant, la biodiversité disparaît. Il apparaît urgent de décarboner, et donc de passer aux énergies renouvelables, de mieux utiliser les matériaux et de préserver la biodiversité. Parce que la transition environnementale, c’est tout ça. Il faut l’inscrire dans de nouveaux modèles de R&D et inventer une chimie verte. Cela exige plus d’investissements et cela demande de travailler sur de nouveaux modèles d’achats et d’affaires. La réglementation est là pour donner un cap, mais l’autorégulation des acteurs économiques s’avère essentielle. Chaque secteur doit se fixer une trajectoire propre, avec un plan d’action précis. La dette publique est nécessaire et elle doit provoquer un effet de ruissellement, mais il faut aussi des financements privés pour accompagner les entreprises.

(Re)Set est reconnue pour ses actions collectives dans l’univers du packaging et du textile. La coopétition constitue-t-elle la meilleure option pour favoriser la transition environnementale la plus large possible ?

Je crois beaucoup à la coopétition. La concurrence est une bonne chose, mais les acteurs économiques doivent également définir, en commun, quel sont leurs enjeux. C’est valable dans le packaging ou l’industrie textile, parce qu’il y a une telle somme de travail et tant de fondamentaux à partager, que si on ne le fait pas ensemble, on ne va pas y arriver. Il y a besoin de standardisation, d’investissements et, surtout, il faut dérisquer le lien au consommateur. Quand la première bouteille de lait recyclée est apparue en magasin, avec sa couleur grise dans l’univers uniformément blanc des bouteilles de lait, c’était un vrai sujet marketing… On m’a dit un jour : « Pour s’affronter sur un terrain de foot, il faut avoir construit le terrain de foot au préalable ». Les coalitions d’action, c’est construire le terrain de foot. Pour toutes les transitions, pour développer des matières plus durables, réparables, on a besoin de standards. Un standard, ça ne fait pas rêver, mais c’est juste. Si nous voulons inventer les textiles et les chimies de demain, si nous souhaitons mesurer et mettre en branle des politiques de préservation de la biodiversité, il faut que chaque secteur définisse un socle et un protocole à partager, autour des problématiques d’eau, de sol, de biodiversité, d’infrastructures, de recyclage, de réemploi, ou de lavage. La transition environnementale est un sport qui se gagne en équipe. Quelle que soit la taille ou la puissance d’une organisation, vous avez besoin d’un formulateur ou d’un chimiste. Et en aval, si on travaille sur le réemploi dans l’emballage, il faut inventer des machines qui lavent et qui sèchent. Je vous concède que la coopétition ne rentre pas dans les habitudes des acteurs économiques, et cela ne s’improvise pas. Animer un consortium exige des contrats juridiques en béton, incluant des règles de vote, de concurrence, ou de propriété intellectuelle, mais cela permet de réaliser en 24 mois ce qu’on fait seul en 15 ans.

Vous avez mené un programme de R&D collective pour des packagings cosmétiques, incluant de grands noms comme L’Oréal et Johnson & Johnson, qui ont les moyens d’investir massivement. Mais quid des PME qui forment l’immense majorité du tissu économique français ?

Il n’y a pas de transition sans les grandes et les petites structures. On le voit bien en France et en Europe, les PME portent une grande partie de l’innovation. Dans nos consortiums, on veille toujours à ce qu’il existe un équilibre et de la diversité, afin d’obtenir le panorama complet d’un secteur, mais aussi parce que les tarifs de nos services sont proportionnels au chiffre d’affaires de chaque entreprise, ce qui permet un partage de valeur bénéficiant à tous. On travaille aussi beaucoup avec les organisations professionnelles. Dans la transition environnementale, les corps intermédiaires sont clé, car ils réalisent un travail de partage, de mise à niveau et de transmission. Le sujet du moment, c’est la CSRD (NDLR : applicable depuis le 1er janvier 2024, la directive européenne Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) fixe de nouvelles normes et obligations de reporting extra-financier pour les grandes entreprises et les PME cotées en Bourse). La plupart des PME ne sont pas encore concernées par cette directive, mais les grands groupes, pour se conformer à la CSRD, vont demander des informations à leurs fournisseurs. Donc les PME sont impliquées, indirectement. Quand on fait partie du même secteur, 90 % des enjeux de reporting sont partagés, donc il est nécessaire de coaliser l’action demandée pour la CSRD. L’État français essaie, au travers de la Bpi et de l’ADEME, d’accompagner les PME, mais bien souvent, ce sont des actions de diagnostic, aidant à réaliser un bilan carbone ou une analyse du cycle de vie d’un produit. Cela ne suffit pas. Les PME doivent se fédérer pour leur plan d’actions.

Vous êtes ambassadrice du plan d’investissement étatique « France 2030 ». Comment le monde politique doit-il adresser la problématique, persistante dans notre pays, du manque de filières de recyclage ?

Si nous voulons encourager le recyclage et le réemploi, des solutions technologiques doivent émerger. Donc ma mission, c’est d’accompagner les sachants, le Secrétariat général à la planification écologique comme celui à l’investissement, et de travailler sur les besoins de demain. En France et en Europe, de nombreuses réglementations sont apparues sur les REP, les éco-organismes, la recyclabilité, ou la réemployabilité. Mais on ne peut pas exiger un recyclage sans se préoccuper de nos usines de retraitement textile ou plastique. L’idée, c’est d’avoir un socle opérationnalisant et une planification industrielle pour les besoins en transition environnementale. Il devient urgent de développer les capacités pour mieux recycler. Notre défi consiste à encourager une réindustrialisation verte, dont on parle beaucoup, mais qui est compliquée à faire advenir, parce qu’on a pris du retard. Il existe une inertie dans l’installation d’usines. Il manque un trait d’union entre le zéro artificialisation nette (ZAN) et l’enjeu de réindustrialisation. Je suis pour la ZAN, mais dans ce cas, il faut réhabiliter les friches industrielles et opérer une densification de l’existant. Personne n’a envie de voir une usine s’établir à côté de sa maison, mais la transition environnementale ne se fera pas sans technologie et sans nouvelles installations d’usines.

Au final, quel est le plus gros sujet sur la table : l’impact carbone ou la gestion des ressources ?

Quand j’ai créé (Re)Set, je souhaitais établir une clé d’entrée par ressources, matériaux et impact environnemental, parce que, depuis 20 ans, nous avons tendance à oublier que le carbone ne représente qu’une infime partie de la transition environnementale. Le gros sujet, ce sont les ressources consommées. Nous devons nous interroger sur les chaînes d’approvisionnement et sur le design des produits. Au moment où on pense le matériau et sa chimie, il faut penser à sa fin de vie. Aujourd’hui, nous développons des matériaux fantastiques, mais ce sont souvent des alliages complexes qui ne sont ni démontables, ni recyclables, ni réemployables. La guerre entre les biomatériaux et le plastique n’a aucun sens. Je ne sais pas s’il existe de bons et de mauvais matériaux. Je crois plutôt aux usages. Un plastique rigide intégré dans l’armature d’un immeuble, qui dure 100 ans et qui possède une filière de recyclage, c’est bien. Un biomatériau représente une option louable, mais encore faut-il qu’il soit issu de co-produits plutôt que de cultures vivrières. Au global, la ressource est encore un parent pauvre de la transition environnementale. Le Medef, tous les cercles industriels et tous les chefs d’entreprise devraient se demander : qu’est-ce que j’achète ? Qu’est-ce que j’utilise comme ressources ? Et lesquelles sont critiques et vulnérables ? Sur ces sujets, on en est encore aux balbutiements. Mais prenons l’exemple de l’emballage, qui a été pointé du doigt pendant 20 ans. Aujourd’hui, on sait en quoi il est fait, s’il existe une filière de recyclage, etc. Tout n’est pas rose, mais le diagnostic et l’analyse ont été établis. Il faut appliquer ce mode opératoire à tous les secteurs. Toute entreprise qui se pose cette question, en ayant une connaissance approfondie de ses fournisseurs de rang 3 ou 4, possède un énorme avantage concurrentiel.

Source du visuel © (Re)Set

Détenteur d’un MBA en Management stratégique (Université Laval, Canada) et d’une Maîtrise de gestion (Paris IX Dauphine), Bertrand Genevi possède dix ans d’expérience dans les médias (L’Express, 20 Minutes) et en agence de communication (Hopscotch).