Christophe Pradère (fondateur et directeur général de BETC Design)
« La personnalisation devient un enjeu économique et industriel »
Dans le contexte de crise que nous traversons, renforcée par les confinements qui privent les marques de liens physiques avec leurs consommateurs, la digitalisation des relations s’est fortement accélérée. Mais pour Christophe Pradère directeur général de l’agence BETC DESIGN, la communication des marques devra avant tout être porteuse de sens, quel que soit le canal utilisé, print ou digital. Alors que nous sommes entrés dans une ère de plus grande frugalité, le designer estime que le phénomène de la personnalisation devient un enjeu central pour les marques.
Comment la crise sanitaire et économique que nous traversons actuellement a-t-elle bouleversé le rapport que les marques entretiennent avec leurs consommateurs ?
La crise sanitaire et économique liée à la pandémie du Covid-19 joue un rôle d’accélérateur dans les transformations en cours. La digitalisation des marques est ainsi devenue une hyper-digitalisation. On constate notamment que les marques dites « digital natives » ont explosé cette année, quand celles dont le modèle était essentiellement centré sur le retail ont particulièrement souffert. Nous assistons à un véritable basculement de consommation, avec le développement de relations immatérielles aux marques. Avec le confinement, les gens ont été coupé net dans leurs élans d’achat. Même si la consommation en point de vente a connu un sursaut à partir du déconfinement de mai, il s’agit seulement d’un effet secousse, compensatoire. Avec les règles sanitaires et de distanciation sociale, il était aisé de créer des files devant les magasins, donnant l’illusion d’une reprise.
Cette période a-t-elle également poussé les marques à plus d’introspection, à s’interroger sur leur propre identité ?
De très nombreuses marques se posent des questions sur leur positionnement stratégique et cherchent à définir quelles sont leurs valeurs clés. Nous assistons ainsi à un véritable sursaut éthique chez beaucoup de marques, que ce soit au niveau de la production, de la politique de prix, de la démarche RSE… Il s’agit de simplifier le sens de choses, de clarifier ce pourquoi l’on se bat. L’une des dimensions importantes de ce mouvement est la montée en flèche du fonctionnalisme. Il faut aujourd’hui que chaque item serve à quelque chose. Même le ludique n’y échappe pas et doit être fonctionnel. Ceux qui restent sur un principe de posture perdent en légitimité. Les marques leaders ont désormais plus d’obligations et font une chasse au superflu, à l’artificiel. C’est encore plus vrai dans certains secteurs, comme la santé et la beauté. Nous sommes entrés dans une ère de frugalité. Les gammes de produits, notamment, vont se raccourcir. Il faut être authentique, utile, et même faire preuve de sobriété.
Hyper-digitalisation d’un côté, repositionnement éthique et frugalité de l’autre : quel rôle peut encore jouer le print dans le mix de communication des marques ?
Opposer la communication imprimée et digitale est un non-sens pour moi. C’est une question qui ne se pose pas. Le développement du digital se traduit par de nouvelles obligations pour les marques. Quand on envoie un produit à son client sans passer par le canal du magasin, il faut pouvoir lui raconter quand même une histoire. Le packaging devient ainsi un élément clé. La marque est dans l’obligation de restructurer son discours et de transformer son emballage en canal de communication. Et dans certains secteurs, comme le luxe, la communication imprimée a une très belle carte à jouer, si tant est qu’elle apporte de la valeur ajoutée. Les marchés de volume vont souffrir énormément : il faut imprimer moins pour imprimer mieux. En définitif, quel que soit le canal de communication utilisé, il faut qu’il soit porteur de sens !
« Les marques leaders font une chasse au superflu, à l’artificiel. Nous sommes entrés dans une ère de frugalité. Les gammes de produits, notamment, vont se raccourcir. Il faut être authentique, utile et faire preuve de sobriété »
La personnalisation est aujourd’hui un phénomène incontournable. Comment les marques appréhendent-elles le sujet et comment, en tant que designer, en tenez-vous compte dans vos projets ?
Que l’on parle de personnalisation fonctionnelle ou d’appropriation stylistique, ce sujet est désormais un acquis. La personnalisation est devenue évidente et même centrale pour certaines industries, notamment dans le monde du cadeau (luxe, maroquinerie). Dans d’autres domaines, comme le secteur industriel ou le sport, elle induit des enjeux encore plus larges, comme la personnalisation de masse. Dans l’automobile par exemple, on repousse la personnalisation le plus en aval possible, afin de pouvoir massifier la production : c’est ce que l’on appelle la différenciation retardée.
« On constate aujourd’hui un développement du random branding : des logos ou des identités de marques variables »
Mais aujourd’hui, avec des technologies comme l’impression 3D, certains secteurs repoussent encore plus loin cette étape. Adidas a, par exemple, installé des machines d’impression 3D pour de la fabrication de semelles sur-mesure en magasin. La personnalisation transcende ici l’aspect stylistique pour devenir fonctionnelle. Pour un designer, c’est très intéressant, car le produit fini pouvant encore être transformé a posteriori, il ne faut pas travailler uniquement sur le produit en lui-même, mais bien sur toute la chaîne de conception, production et distribution. La personnalisation devient en enjeu économique et industriel, et le designer se retrouve au cœur de la construction de ce système.
Enfin, au-delà de l’offre, les marques commencent aussi à être influencées par ce phénomène de la personnalisation dans leur identité propre. On constate aujourd’hui un développement de ce que l’on appelle le random branding : des logos ou des identités de marques variables. On garde une cohérence et de la repérabilité dans son branding, tout en y amenant de la surprise et des variations. Cette tendance prend de l’ampleur et ouvre le champ des possibles pour les designers.
BIO EXPRESS
Fondateur (en 2003) et directeur général de l’agence BETC Design, également directeur général de BETC Asia, Christophe Pradère est issu d’un double cursus, marketing (ISG) et design (Domus Academy de Milan). Outre une expérience de travail en Asie, il possède une expertise internationale dans tous les métiers du design (corporate, retail, produit, packaging). À côté de ses activités au sein du groupe BETC, Christophe Pradère assure des interventions comme professeur honoraire à la Parson School of Paris et à la SKEMA Business School. (Visuel Christophe Pradère © BETC Design)