Quelle communication pour demain ?
Dans une tribune publiée dans Le Monde, le 28 août dernier, le professeur en communication des organisations Thierry Libaert portait un regard sans concession sur la mise en œuvre du volet publicité de la loi Climat et résilience. « À l’exception de la sensibilisation des salariés, souvent réduite à une présentation de la Fresque du climat, aucun engagement de la loi Climat et résilience n’a été tenu », estime l’universitaire.
Selon lui, quelques signaux positifs persistent néanmoins, avec notamment une prise en main effective du sujet par le Secrétariat général à la planification écologique, qui s’est rapproché du monde universitaire pour nourrir sa compréhension du sujet. Mais quoiqu’il en soit, « la lutte contre le dérèglement climatique ne peut faire l’impasse sur les questions de consommation, de communication commerciale et d’imaginaire publicitaire. »
Alors de quoi parle-ton quand on parle de communication responsable ? Quelles sont les recommandations ? Les enjeux ? Et quid des risques encourus pour les entreprises prises en flagrant délit de greenwashing ? Éléments de réponse et de réflexion avec nos deux invités : Alexis Krycève, consultant et acteur de l’économie sociale et solidaire, et Mathieu Jahnich, conseiller et chercheur en communication et transition écologique depuis près de 20 ans.
« Communiquer, c’est aussi une forme d’engagement »
Historiquement impliqué dans l’économie sociale et solidaire, Alexis Krycève dirige le cabinet de conseil en stratégie RSE Haatch depuis 2009. Cinq ans plus tard, il fonde avec la même conviction Gifts for Change, une entreprise spécialisée dans la communication responsable par l’objet, en proposant des produits made in France, éco-conçus et inclusifs. Aujourd’hui, le dirigeant insiste sur le besoin des entreprises de sortir de la peur de communiquer. Avec authenticité, mais aussi une grande humilité.
Le greenwashing existe-t-il encore en 2024 ?
A la manière du climato-scepticisme, il évolue, mais il ne meurt pas. Il faut néanmoins reconnaître qu’on en voit moins aujourd’hui. Au début des années 2000, les publicités mettant en scène des voitures sur fond vert ou avec des fleurs sortant du pot d’échappement étaient encore de mise. Cela n’existe plus. La tromperie manifeste et volontaire est devenue très rare. Les codes du greenwashing ont évolué, et il prend des formes différentes. Les allégations trompeuses ou mensongères sont rares désormais, mais les affirmations exagérées perdurent. Et le greenwashing « involontaire », par manque d’investissement ou de rigueur, il y en a partout, tout le temps. On a tendance à dire que de grands groupes comme Total ou L’Oréal naviguent dans un greenwashing continu, mais je pense qu’il est plutôt le fait d’entreprises maladroites ou qui connaissent mal les réglementations. Certaines confondent recyclable et recyclé, biodégradable et compostable, etc. Quand on maîtrise mal les enjeux, il est possible d’avoir une communication dissonante. Le problème majeur tient dans le fait que le sujet n’est pas appréhendé avec le niveau de sérieux et d’investissement nécessaires.
Pour les entreprises véritablement engagées dans la responsabilité, il est parfois délicat de communiquer, par peur du bad buzz. Comment les encourager à prendre la parole ?
La majorité des clients de Haatch sont des entreprises très prudentes, qui n’expriment pas une envie farouche de communiquer sur leurs actions, même les plus vertueuses. Cela s’explique notamment par une vigilance accrue de notre pays sur les allégations environnementales et par les nombreuses polémiques, parfois injustes, nées après la diffusion de campagnes de communication. Mais, une fois leur stratégie RSE clairement définie et déployée, nous incitons les entreprises à prendre la parole, en leur faisant comprendre que la communication permet également d’inspirer les autres acteurs du marché. On a besoin de faire de la pédagogie. Sensibiliser et communiquer, c’est aussi une forme d’engagement.
Quelles sont les pistes pour dérouler une communication responsable ?
Les codes sont parfois complexes à maîtriser, mais plusieurs règles s’imposent. Il ne faut pas chercher à tout dire et, surtout, ne pas exagérer. Un effort doit être fait pour rester humble et être extrêmement précis. On affirme une chose si elle peut être justifiée, mesurable et démontrée. La communication doit également être authentique. Plus on montre la vérité et moins on la travestit, plus une communication s’avère efficace. Le challenge du moment, ce sont les nouveaux imaginaires, ou comment parler de RSE et faire rêver en se basant sur la vérité. Avec Gift for Change, nous évoluons dans l’objet publicitaire, une industrie souvent montrée du doigt pour son impact environnemental supposé. Notre récit se fonde depuis le premier jour sur l’aspiration à un autre modèle. On vend un projet autant que des objets. Or la manière de créer un attachement entre une marque et un consommateur a changé. Il repose aujourd’hui sur la valeur ajoutée et l’utilité qu’on offre à la société. En dévoilant notre atelier inclusif, en s’ouvrant sur nos convictions, mais aussi sur nos doutes, on crée de l’adhésion.
Est-ce que les certifications et les labels environnementaux, très en vogue dans l’objet publicitaire, participent à une forme de greenwashing ?
Une certification ou un label, impliquant un audit indépendant, viennent plutôt rassurer sur la véracité d’un propos. Une médaille EcoVadis Platinum prouve la mise en place de meilleures pratiques qu’une médaille de bronze et un label vaut mieux que pas du tout. En revanche, vous avez raison de dire que cela peut aussi représenter une manière de se défausser ou de s’exonérer. Il ne faut pas se satisfaire de cela. Quand on obtient une médaille Platinum, on s’inscrit parmi les mieux disant au sein de son industrie. Mais il n’en reste pas moins que de nombreux points sont certainement à améliorer. Il ne faut pas résumer son engagement à l’obtention d’un label ou d’une certification. Cela rejoint la problématique de la compensation carbone, qui peut être vue comme une manière de se conformer aux règles, en achetant un droit à polluer permettant de continuer à agir comme avant.
Au final, le greenwashing est-il plus qu’un simple problème de communication ?
La RSE n’est pas un sujet superficiel. Il s’agit d’une transformation en profondeur, remettant en cause les modèles d’affaires. La stratégie RSE doit être vue comme un iceberg. Les 10 % émergés représentent les sujets de communication, démontrant la singularité d’une démarche, propre à chaque entreprise. Les 90 % restants offrent une stabilité et une crédibilité à l’ensemble. Avant de commencer à mettre en avant la moindre initiative, il faut s’assurer qu’une réflexion en profondeur a permis d’identifier les enjeux spécifiques au marché sur lequel on évolue et qu’une politique sérieuse a été engagée à 360 degrés. Cela demande une grande patience. Je ne dis pas qu’on doit être exemplaire sur tous les plans pour pouvoir communiquer, mais il ne faut pas donner l’impression d’adresser une petite partie du sujet. L’emballement que nous connaissons aujourd’hui pour l’instantané et l’anecdotique doit être combattu.
Propos recueillis par Bertrand Genevi.
« Le greenwashing représente un frein au changement »
Conseiller et chercheur en communication et transition écologique, Mathieu Jahnich dirige un trio d’expert(e)s spécialisé(e)s dans la communication au service de la transition écologique. Son agence MJ conseil intervient auprès de marques, d’entreprises et d’organisations publiques sur des questions de communication responsable et de stratégie RSE. Engagé depuis 20 ans dans les domaines de l’environnement et de la responsabilité sociétale, il est l’auteur principal du Guide de la Communication Responsable de l’ADEME et contribue, depuis 2015, au Bilan Publicité et Environnement piloté par l’ADEME et l’ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité), pour dresser l’état des lieux du greenwashing en France.
Les propos repris ci-dessous sont extraits d’une conférence sur la communication responsable, qu’il a donnée lors des Green Retail Days 2023, à Paris.
De quoi parle-t-on, aujourd’hui, quand on parle de « communication responsable » ?
La communication responsable correspond à la communication qui porte sur des questions de responsabilité d’entreprise, mais qui intègre aussi la responsabilité des actions de communication.
Cela implique que l’on se pose la question de la pertinence et l’utilité de ses projets, dans une optique de sobriété, en fonction bien sûr de nos objectifs business mais aussi des attentes de nos parties prenantes. Un exemple : est-ce qu’il est pertinent, pour une compagnie aérienne, de communiquer sur l’interdiction de l’usage du plastique à usage unique à bord des avions ? La réponse est non : ce n’est clairement pas sur ce sujet qu’on les attend.
Le deuxième point touche à la diffusion de messages plus responsables. Il s’agit d’éviter de diffuser des allégations trompeuses, du type « avec ce vêtement, vous allez nettoyer les océans », qui donnent l’impression au consommateur d’être acteur de la transition environnementale, alors qu’en fait il continue à fonctionner de la même façon qu’avant, mais en se donnant bonne conscience. C’est ce que l’on appelle du greenwashing. Ce type de communication représente un frein à la transition écologique et au passage à une économie circulaire et sobre. C’est aussi une forme de concurrence déloyale, sans compter qu’en faisant cela les annonceurs contribuent évidemment à entretenir le climat de défiance généralisée actuel, du public envers les entreprises.
La définition comprend un troisième volet qui s’attache à l’éco-socio-conception des projets. Il s’agit ici de voir comment est-ce que l’on peut organiser un événement, produire et diffuser une vidéo, développer un site web, une application ou gérer une newsletter, de façon la plus responsable, donc en réduisant au maximum nos externalités négatives comme l’extractions de matières premières, les rejets polluants, les déchets, etc. Cela implique notamment une attention particulière portée au choix de ses partenaires.
Enfin, l’évaluation des impacts et leur valorisation doivent évidemment être intégrés dans un projet de communication responsable. On va donc mesurer l’efficacité de nos actions mais aussi les éventuelles réductions de nos externalités négatives, ce qui n’est pas la moindre des difficultés car on manque clairement d’outils pour le faire. Il ne suffit pas en effet de calculer son bilan carbone. Se posera aussi la question de la mesure. Qu’est-ce que l’on mesure ? Est-ce que tout ce que l’on mesure a du sens ? Etc.
Quelles sont les grandes recommandations pour les entreprises ?
Les recommandations de l’ARPP définissent une trentaine de points organisés en neuf chapitres, mais pour synthétiser, je retiendrais cinq grands axes.
Le premier concerne la banalisation de comportements négatifs ou le dénigrement de comportements positifs. On n’a pas le droit de dire que l’on est serré comme des sardines dans les transports en commun pour donner envie aux gens de rouler en scooter ou en véhicule électrique.
La promesse mensongère et disproportionnée est également à bannir. On n’a pas le droit de dire qu’en achetant tel ou tel produit compressé, on va libérer la planète des émissions de CO2.
L’absence de preuves, de précision et de clarté n’est également plus possible. Attention aux allégations trop ambitieuses et trop générales.
Une vigilance doit être aussi portée aux images suggestives. On voit en effet fleurir un peu partout des petites planètes Terre, des images de nature ou des petits animaux bien sympathiques qui donnent l’impression que le produit que l’on présente va sauver la Terre. Ce qui n’est pas vraiment le cas.
Enfin, j’ajouterais un cinquième axe qui concerne toutes ces communications qui appuient leur argumentation sur des enjeux secondaires. Un exemple : vous êtes une grande banque et vous proposez des cartes bancaires qui sont en plastique recyclé, alors que dans le même temps vous financez peut-être de grands projets d’énergies fossiles. C’est Amazon qui finance une campagne sur l’éco-pâturage autour de ses entrepôts…
Tous les supports de communication sont concernés ?
Oui, absolument. Un espace publicitaire, un contenu sur votre site web, un post même pas sponsorisé sur vos réseaux sociaux, une PLV dans un magasin… tous ces supports sont évidemment concernés par ces règles déontologiques et par la loi.
Quels sont les risques pour les entreprises prises en flagrant délit de greenwashing ?
Le premier risque que je vois c’est une atteinte à la réputation et une dégradation de l’image marque-employeur. Cela peut aussi générer de réelles tensions en interne entre les équipes RSE et les équipes marketing et communication. Et puis, les entreprises courent également de plus en plus le risque d’avoir une remarque de l’ARPP qui va leur demander une action corrective. Des plaintes peuvent enfin être déposées, avec des sanctions financières à la clé. Plusieurs procès sont actuellement en cours pour ce type de litiges.
Aujourd’hui, il faut savoir que le greenwashing est encadré par des règles déontologiques édictées par l’ARPP, et par des lois. La France a été le premier pays au monde à encadrer l’allégation de neutralité carbone pour les produits et les services. Ces thématiques sont également portées à l’échelle européenne. Le projet de Directive “Green Claims” de la Commission Européenne est là pour renforcer l’encadrement des allégations pouvant tromper le public. Il est notamment question d’aller demander à un organisme tiers l’autorisation d’utiliser telle ou telle allégation environnementale. Les sanctions envisagées peuvent aller jusqu’à prélever un pourcentage du chiffre d’affaires de l’entreprise.
Les résultats du dernier bilan ADEME / ARPP
« Publicité & Environnement »
La publication de ce onzième bilan « Publicité & Environnement » réalisé par l’ADEME et l’ARPP intervient dans un contexte où les Français sont de plus en plus sensibles au greenwashing et où les interpellations sur les réseaux sociaux se multiplient, par des collectifs ou des individus qui agissent comme lanceurs d’alerte.
Le nouvel opus porte sur plus de 39 000 publicités diffusées en juin, septembre, octobre et novembre de l’année 2022 : insertions presse, publicité extérieure (affichage et panneaux numériques), radio, films YouTube, posts Facebook (un jour par mois) et bannières web (un jour par mois également).
Sur 1 880 publicités diffusées pendant la période et qui utilisaient l’argument écologique, 142 ne respectaient pas les règles déontologiques, soit un ratio de 7,6 %.
Cela représente une baisse de 4 points de pourcentage par rapport au dernier bilan (11,6 % en 2019). Une amélioration encourageante donc, mais, selon les experts de l’ADEME et de l’ARPP, la situation reste néanmoins préoccupante à plusieurs titres.
Le chiffre de – 7,6 % de non-conformité est en effet 75 à 180 fois supérieur aux taux obtenus dans les autres bilans thématiques publiés par l’ARPP : 0,1 % pour le dernier bilan d’application de la recommandation « Comportements alimentaires » (2021) et 0,04 % pour le dernier bilan « Image et le respect de la personne » (2022). La recommandation “Développement durable” pose donc encore des difficultés à de nombreux acteurs pour se l’approprier et l’appliquer au quotidien.
Par ailleurs, ce taux de non-conformité est une moyenne. Cela signifie qu’il varie de façon significative selon le format publicitaire : 13 % pour la presse, 11 % pour les bannières web, 8 % pour Facebook, 6 % pour la radio, 4 % pour les vidéos web et 1 % pour l’affichage. Ainsi, une publicité sur huit dans la presse (pour moitié sous la forme de publi-rédactionnels) et une sur dix sur Internet (bannières) donnent une information qui ne correspond pas à la qualité écologique exacte du produit ou du service promu, voire de la démarche globale engagée par l’entreprise.
Les allégations comme « responsable », « éco-responsable », « écologique », « propre », « vertueux », « durable », « respectueux de l’océan »… sont encore très souvent employées sans être nuancées et de façon disproportionnée par rapport aux propriétés du produit ou service promu.
Comme en 2019, les publi-reportages dans la presse occupent une place significative dans les non-conformités (+ de 25 %). Ils permettent aux marques d’adopter une approche pédagogique et de développer leur argumentaire. La vigilance devrait être maximale sur ces formats, comme sur tous les autres, au moment de la rédaction et de la validation de l’ensemble des contenus, notamment les titres, intertitres, encadrés et illustrations. Si l’annonceur porte une part de responsabilité, les équipes des médias, qui cherchent à pousser ces formats publicitaires, ne sont visiblement pas assez attentives au risque de greenwashing.
À noter également : une dizaine de non-conformités concernent des publicités pour des produits ou services où le moindre impact environnemental est attesté par un écolabel officiel mais avec un vocabulaire ou un visuel excessif.
« Les règles déontologiques concernent tous les acteurs économiques, même les entreprises reconnues pour être très engagées », tiennent à rappeler les experts de l’ADEME et de l’ARPP.
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