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    IALS : la « French touch » de l’IA a son magazine

    Il y a quelques mois, la directrice artistique freelance Nathalie Dupuy a publié un magazine exclusivement généré par intelligence artificielle (IA). Des contenus rédactionnels aux visuels. Un projet de l’ordre de l’expérimentation qui, fort de sa singularité, a été remarqué à l’échelle nationale. Depuis, Nathalie Dupuy poursuit sa démarche d’exploration technologique avec IALS, un magazine plus hybride, mêlant génération par IA et contributions humaines, mais sans perdre de vue sa visée pédagogique.

    Il y a un an, Nathalie Dupuy ne s’intéressait pas à l’IA. Aujourd’hui, elle est interrogée sur le sujet par France Inter. Tout va décidément très vite avec l’intelligence artificielle. Formée aux Beaux-Arts, Nathalie Dupuy est directrice artistique freelance à Lyon. Elle se spécialise dans la presse magazine depuis une vingtaine d’années, en collaborant notamment avec des titres prestigieux comme Elle et Paris Match. Ce qu’elle aime le plus dans son métier ? La narration graphique. « J’aime raconter des histoires visuellement. J’essaie d’embarquer le lecteur dans une forme de continuité, mais aussi de rupture, pour éviter l’ennui, de page en page. »

    En parlant de rupture, l’IA se pose là. Nous vivons depuis quelques mois une révolution qui, en accélérant et en automatisant un grand nombre de tâches, pourrait avoir le même impact dans le monde du travail que l’arrivée d’Internet ou la révolution industrielle. Nathalie Dupuy s’en est emparé l’été dernier, dans le cadre d’un projet expérimental visant à tester les possibilités de ce nouvel outil, afin de questionner sa pratique du graphisme.

    Pour ce faire, elle a créé de toutes pièces un magazine digital de 68 pages : elle a fait appel à Midjourney pour les visuels et à ChatGPT, pour les textes. En seulement six heures, plus une journée de mise en page, IELS et son dossier dédié à l’âgisme était né. Ce qui n’était à l’origine qu’un test, voire une blague, a été remarqué par des médias locaux, puis nationaux. Reconnue comme experte, elle prend désormais la parole lors d’évènements professionnels, comme elle l’a fait sur la dernière édition du salon C!Print, dans le cadre d’une table-ronde intitulée « Création graphique : les (r)évolutions du secteur à l’heure de l’IA ».

    FRENCH TOUCH

    Depuis ce premier numéro entièrement réalisé par IA, « un peu bancal et creux dans le propos » selon ses propres dires, elle a fait évoluer la formule et lancé IALS, pour « Intelligence Artificielle La Suite », en janvier dernier. Un magazine, digital toujours, mais qui se veut plus ambitieux, hybride, mélangeant génération par IA et contributions humaines, et incluant des témoignages d’experts français (designers, ingénieurs, chefs d’entreprise, etc.). Un choix fort et assumé par la directrice artistique. « L’exception culturelle française se ressent aussi dans l’approche de l’IA. On ne peut pas s’empêcher d’y ajouter du sens ! Il existe une multitude d’actions intéressantes dans notre pays, touchant à différents domaines. Dans la création visuelle, mais pas uniquement. » Nathalie Dupuy offre ainsi une tribune à la « French touch » sur l’expérience IA en France, au sens large. Et ça marche : son magazine a été téléchargé des milliers de fois, par des profils divers.

    MONTRER POUR ÉDUQUER

    Nathalie Dupuy insiste sur l’importance cruciale de la pédagogie dans notre rapport à l’IA. C’est ce qui la pousse à poursuivre son projet de magazine en donnant la parole à des professionnels impliqués sur le sujet. C’est ce qui la motive, aussi, à réaliser des formations en entreprise ou à l’école de mode ESMOD. « Il est nécessaire de prendre du recul pour identifier et comprendre les problèmes induits par l’IA. Les biais visuels, par exemple, appellent beaucoup de questions… Mais on peut aussi se demander si on doit toutes les adresser. Parce si c’était le cas, cela signifierait qu’on peut faire confiance à une machine. Et c’est un problème. »

    Si les progrès de l’IA sont spectaculaires sur le plan graphique entre les premiers tests réalisés par Nathalie Dupuy à l’été 2023 et début 2024, il n’en demeure pas moins que les biais sont encore flagrants. Fin février, aux Etats-Unis, Google a ainsi annoncé suspendre la création d’images de personnes sur son outil Gemini à la suite de problèmes relatifs à des questions de genre et de diversité sur certaines requêtes. Un état de fait qui renforce la conviction de la directrice artistique dont la démarche d’éducation passe par la démonstration visuelle. « Quand on montre les choses, cela marque plus les esprits. »

    ÉCHANGE HUMAIN

    Si l’intelligence artificielle fascine la créatrice, Nathalie Dupuy n’est pas dans l’admiration béate face à la puissance de la machine. Ce qui l’intéresse fondamentalement, c’est l’humain derrière la machine. Autrement dit, ce n’est pas Anne Kerdi, l’influenceuse bretonne conçue par IA, interviewée dans IALS et dont les réponses ont été générées par un robot qui l’intéresse, mais plutôt le créateur de ce personnage virtuel, Sébastien. Un homme de 37 ans, finistérien, qui souhaite d’une part faire la démonstration que l’IA peut être informative et ludique, et d’autre part mettre en valeur toute la richesse du patrimoine breton.

    C’est aussi la démarche de Stéphane Gallieni, fondateur de l’agence de communication digitale Balistikart, qui a conçu un avatar à son image, « Incognito Influencer », afin de tester le potentiel narratif des solutions d’IA sur le modèle de l’autofiction. C’est également Peggy Leroy, fondatrice de l’Agence Del in, entrepreneuse passionnée d’art, qui a intégré l’IA dans son processus de création pour des projets en décoration d’intérieur. C’est enfin Audrey Grosclaude, journaliste à la tête des cahiers régionaux du Figaro Magazine, qui analyse l’influence et le pouvoir de la technologie dans son métier. L’ensemble des experts rencontrés par Nathalie Dupuy croient en la pédagogie et la transmission. Ils œuvrent tous, chacun dans leur domaine, à l’acculturation de l’IA au sein de la société.

    GRAPHIC DESIGN IS NOT DEAD

    Mais avec la montée en puissance de cette technologie, les graphistes doivent-ils craindre pour leur activité ? Selon la directrice artistique, le métier n’est pas destiné à disparaître. Son expérience de l’IA la rassure même sur l’avenir des graphistes. Elle considère cette technologie comme un outil supplémentaire dans l’arsenal des professionnels, rien de plus. « L’IA m’évoque deux phénomènes ayant inquiété les graphistes : l’arrivée de la suite Adobe et celle du no code. Un néophyte pouvait créer un logo, des plaquettes commerciales ou un site Internet en toute indépendance. Mais passé l’enthousiasme des premiers tests, les clients sont revenus vers nous pour des prestations professionnelles. Ce sera probablement la même chose pour l’IA. »

    Pour l’experte, il n’y pas vraiment de débat. Certaines entreprises se satisferont de l’IA brute, et d’autres seront plus exigeantes et voudront aller au-delà de l’uniformisation et l’artificialisation des créations visuelles, en faisant appel à des graphistes chevronnés. « Une IA ne permet pas d’être graphiste, concepteur ou rédacteur. » En tout cas, pour l’instant…

    OBJECTIF PROFESSIONALISATION

    Aujourd’hui, Nathalie Dupuy réalise son magazine sur son temps libre. Si son expérience de la presse magazine lui donne quelques clés utiles pour la conception du titre, elle espère s’entourer rapidement de journalistes, pour aller plus loin et tenir le rythme de parution trimestriel annoncé. D’autant plus qu’elle rencontre toujours plus d’experts et qu’elle aimerait partager leurs initiatives.

    Le business modèle de IALS est encore en construction. Des annonceurs se montrent intéressés pour communiquer dans le numéro à venir du magazine, qui paraîtra dans le courant du mois d’avril. En attendant, dans le numéro de janvier de IALS, Nathalie Dupuy a intégré de fausses publicités, « pour s’emparer du sujet et s’amuser un peu. »

    Dans l’idée de gagner en professionnalisme, le magazine, jusque-là uniquement disponible sous format PDF, pourrait aussi être imprimé à l’avenir. Son éditrice, très attachée au papier, y aspire en tout cas. Pour le moment, les moyens financiers manquent, mais l’ambition est bel et bien là. « Je poursuis un objectif de matérialisation physique du projet, notamment pour une question de confort de lecture. Les retours que je reçois sont positifs, de nombreuses personnes jugent le magazine instructif, et une version papier permettrait une diffusion plus large. »

    Source des visuels : Nathalie Dupuy.

    Détenteur d’un MBA en Management stratégique (Université Laval, Canada) et d’une Maîtrise de gestion (Paris IX Dauphine), Bertrand Genevi possède dix ans d’expérience dans les médias (L’Express, 20 Minutes) et en agence de communication (Hopscotch).