Gutenberg One : nouveau bras armé des imprimeurs et des libraires ?
Avec Johannes Gutenberg est apparu le caractère mobile. Avec le robot-imprimeur Gutenberg One, c’est l’imprimerie tout entière qui le devient. Porté par Hubert Pédurand, directeur général du groupe Laballery, le projet propose aux imprimeurs et aux libraires de devenir les spécialistes de la re-matérialisation des livres en circuit court, à proximité du lecteur.
Clin d’œil de l’actualité, à l’heure où nous écrivons ces lignes, les pétitions contre la fermeture des librairies pendant le confinement se multiplient. Celle que le Syndicat de la Librairie Française (SLF) a envoyée au Président de la République a réuni près de 200 000 signataires.
Dans ce texte, il rappelle que « les librairies jouent un rôle que nul autre ne peut tenir dans l’animation de notre tissu social et de notre vie locale, pour la transmission de la culture et du savoir et le soutien à la création littéraire. Elles sont en outre un des plus efficaces remparts contre l’ignorance et l’intolérance ». Ce sont donc des commerces essentiels. CQFD.
Et pourtant… Si cet élan en faveur des librairies fait du bien à observer, il ne doit pas nous faire oublier la précarité de ce secteur qui peine toujours à dégager des marges suffisantes pour vivre correctement.
Une mutation devenue vitale
La librairie française a su résister aux vents contraires qui se sont abattus sur elle ces dix dernières années – Amazon, livres numériques, concurrence des autres loisirs, vieillissement du lectorat, baisse structurelle des ventes… « Mais si, en France, le nombre de librairies est resté stable sur cette période (3 300), leur situation économique est de plus en plus précaire », prévient le SLF dans un manifeste publié à l’occasion des Rencontres nationales de la librairie en 2019. D’après une étude Xerfi commandée par le syndicat, les librairies indépendantes ne dégagent qu’une marge de 1 % sur leur chiffre d’affaires, une des rentabilités les plus faibles du commerce de détail. Et si les ventes de livres chez les indépendants connaissent un certain regain (de l’ordre de 5%), cette croissance peine à compenser la hausse des charges.
À cette conjoncture compliquée pour les libraires, il faut ajouter celle dramatique des imprimeurs du livre : en dix ans, la branche imprimerie a vu mourir 1501 imprimeries en France et 26000 emplois, soit 34% des entreprises du secteur et 40% de ses emplois.
En tant qu’imprimeur industriel de livres en France, Hubert Pédurand, directeur général du groupe Laballery, connait parfaitement les zones de tensions de son industrie, des auteurs jusqu’aux libraires. Mais il est également convaincu que le livre a un bel avenir devant lui, à condition de faire évoluer les modèles et d’innover.
Un automate-imprimeur français
En 2015, il est sur le Salon du livre de Paris pour présenter l’Espresso Book Machine développée par Xerox pour imprimer du livre à la demande. Le système fonctionne déjà sur plusieurs campus américains. En France, la machine est en test dans cinq CFA et à la librairie des PUF dans le 6e arrondissement de Paris. Elle fait partie des pistes explorées par le programme de recherche et développement IRENEO porté par l’IDEP et l’UNIIC, et dirigé par Hubert Pédurand qui a entrepris une réflexion de branche quant aux enjeux et à l’avenir du livre imprimé à la demande.
Le chef d’entreprise a en tête de concevoir son propre automate-imprimeur qu’il imagine déjà plus rentable que le robot américain, avec notamment un système d’imposition plus performant pour réduire la gâche papier par 2. Pour mener à bien son projet, Hubert Pédurand crée une JEI en 2013, une Jeune Entreprise Innovante, Neomedias, et s’entoure de compétences, en robotique notamment. En 2017, le programme IRENEO de l’IDEP est transféré chez Néomédias qui deux ans plus tard, sur le Salon du livre Paris 2019, présente en première mondiale Gutenberg One, le premier automate-imprimeur français.
C’est sur le Salon du livre Paris 2019 qu’Hubert Pédurand (photo de droite) présente en première mondiale Gutenberg One, le premier automate-imprimeur français.
Pour une re-matérialisation du livre en circuit court
« La réalité économique du livre en quantité 1 dans une imprimerie n’existe pas. Nos outils nous le permettent techniquement, mais c’est plus un service rendu aux éditeurs, très loin d’être un centre de rentabilité, le coût complet est débile. Gutenberg One va où personne n’est aujourd’hui capable d’aller et propose aux éditeurs, aux imprimeurs, aux distributeurs et aux libraires de devenir les spécialistes de la re-matérialisation des livres en circuit court, à proximité du lecteur », explique Hubert Pédurand.
Techniquement, le robot-imprimeur Gutenberg One est équipé d’un système d’impression jet d’encre Riso (impression de livres en noir ou en couleur) et d’un bras polyarticulé capable de reproduire à la perfection tous les gestes de l’imprimeur, du plieur et du brocheur. L’automate maîtrise par ailleurs parfaitement la fabrication du livre en dos carré collé. « Ce qui est loin d’être anecdotique, tient à préciser Hubert Pédurand, dont les équipes R&D ont planché deux ans sur le sujet pour optimiser cette opération cruciale dans la fabrication d’un livre.
« La méthode traditionnelle qui consiste à passer le dos du livre dans un bac à colle maintenu à température (170°C) n’était pas viable pour Gutenberg One qui est censé imprimer une vingtaine de livres par heure. La solution que nous avons trouvée et qui est protégée aujourd’hui par un brevet mondial consiste à inverser la problématique et à déposer de la colle non pas sur le dos du livre, mais à l’intérieur de la couverture, via une imprimante 3D qui dépose de la colle thermofusée de manière millimétrique en respectant l’exacte épaisseur du dos du livre ». Une opération délicate et cruciale exécutée par le bras de la machine qui enchaîne ensuite avec la phase de massicotage en respectant les dimensions exactes du livre d’origine. Et le tour est joué ! Comptez 5 minutes pour imprimer un ouvrage de 400 pages.
« Grâce à Gutenberg One, le livre devient en permanence accessible. Il est re-matérialisé instantanément à la commande, à l’unité et devant le lecteur »
Le « Print & Collect » est né
« Nous allons plus loin que le « Click & Collect », nous inventons le « « Print & Collect ». Exit donc les coûts logistiques. Exit aussi les problèmes de stockage, de retours des invendus qui grèvent les trésoreries des libraires. Le catalogue de Gutenberg One est mondial : les livres du monde entier deviennent potentiellement disponibles, dans toutes les langues, dans les librairies équipées, souligne Hubert Pédurand, qui aime à parler dès-lors de livres imprimés disponibles en streaming. « Le Deezer du livre papier émerge en pleine obligation sanitaire de repenser les flux mondiaux. Nos livres sont imprimés pour une personne unique, sans manipulation par des tiers… », ajoute-t-il.
Le monde d’après : une première librairie équipée dès janvier 2021
C’est en janvier 2021, chez un éditeur-libraire parisien, que la première installation aura lieu. Plus de 40 000 titres de l’éditeur seront dans le catalogue du cloud de Gutenberg One à ce moment-là, augmenté de 15 nouveautés par jour afin de donner la possibilité au lecteur de choisir entre le livre classique sur les étagères et le « livre bio » disponible en « Print & Collect ».
Un premier pas avant un déploiement plus ambitieux. Hubert Pédurand a déjà écrit et imaginé la suite de l’histoire : celle d’ouvrir des cafés littéraires pour redynamiser les centres-villes. Porté par la start-up Gutenberg & Co, le concept est même déjà prêt : il a été imaginé par l’agence Malherbe Paris.
Le concept de café littéraire imaginé par Malherbe Design pour Gutenberg & Co.
Si le projet intéresse aujourd’hui toute la profession, des questions demeurent concernant notamment les capacités d’investissement des libraires, qui devront investir une partie des 100 000 euros pour acquérir l’automate-imprimeur. Hubert Pédurand de préciser que « l’automate est éligible au plan France Relance. En outre, des aides nombreuses sont disponibles pour la numérisation des libraires, il y a aussi des aides locales, des financements étant possible via l’IFCIC et la Bpi, Gutenberg & Co pouvant également proposer du crédit-bail sur de longues durées, le libraire équipé de Gutenberg One passant son revenu de 35% en moyenne à 55% avec en outre une trésorerie bien plus rapidement disponible qu’actuellement ».
Du côté des gros éditeurs, on s’enthousiasme aussi pour cette innovation 100% française, mais une certaine méfiance reste de mise. Et pour cause, le modèle risque de bousculer sérieusement la chaîne de valeur du livre. Au profit d’une plus juste redistribution et d’un accès équitable au plus grand nombre ? C’est en tout cas l’objectif.
Une entrée en Bourse dans les 5 ans
« Sur 1 tonne de papier, seulement 50% devient du livre vendu », ajoute Hubert Pédurand, l’autre moitié du papier a été consommée en pilon, en gâche papier ou dort dans un entrepôt. Fabriquer des livres qui seront consommés sans rien sacrifier de la diversité, faire des remontées en temps réel des ventes aux éditeurs voire aux auteurs, mieux connaître les consommateurs, garantir aux auteurs le suivi permanent de leurs œuvres chez leur éditeur sans plus aucune rupture, les titres devenant disponibles dès-lors qu’ils sont en base dans le Cloud de Gutenberg One : voilà la promesse.
« Plus il y aura de Gutenberg One dans le monde, plus les éditeurs, les auteurs, les libraires, seront gagnants, les ventes devenant potentiellement exponentielles » prédit Hubert Pédurand qui réfléchit d’ores et déjà à une entrée en Bourse sous 5 ans.