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CANVA : l’imprimerie en ligne face à un cheval de Troie ?

En moins de dix ans, Canva a conquis 60 millions d’utilisateurs dans le monde… mais seulement 500 000 clients payants, dont de nombreux acteurs du web-to-print, heureux de pouvoir proposer à leurs propres clients un outil de création de contenus marketing fonctionnel, ergonomique et universel. Mais aujourd’hui que la licorne australienne vient de lever plus de 270 millions de dollars en moins de six mois, de déployer son service Canva Print partout dans le monde, d’embaucher un manager « Ecosystem and Lead Print » ou encore de signer un partenariat avec Kornit Digital pour son intégration dans la suite logicielle de d’impression à la demande KornitX, les acteurs du web-to-print peuvent légitimement s’interroger sur la stratégie réelle de la pépite australienne, sur laquelle ils ont tant misé jusque-là. Ont-ils fait entrer « le loup dans la bergerie » ? Pour le consultant français Ludovic Martin, Canva pourrait cacher une réelle disruption pour le marché et redistribuer une nouvelle fois les cartes.

 


Lire la Tribune de LUDOVIC MARTIN

Canva : et si à la fin, il ne restait plus que lui ?

 

L’imprimerie en ligne a 25 ans, et les opérateurs qui ont totalement disrupté l’imprimerie traditionnelle à coup de commande en ligne, d’amalgame, de prix cassés et de délais courts, eux-mêmes, sont en train de se faire disrupter par une startup : CANVA.

Je vous relate régulièrement la litanie des imprimeurs en ligne qui annoncent fièrement une intégration de Canva à leur plateforme, pour faciliter l’expérience utilisateur dans la création des designs à imprimer. Si sincèrement j’ai été bluffé au début par l’ajout fonctionnel et la qualité des intégrations, je m’interroge vraiment aujourd’hui, tant les partenariats se multiplient. Sur tous les sites qui adoptent Canva, ce que l’on voit en premier, ce n’est plus l’imprimeur, c’est Canva. Les templates sont la plupart du temps les mêmes, l’expérience d’achat se standardise, comme le process créatif. Plus d’une dizaine d’imprimeurs majeurs ont intégré l’outil, d’autres vont probablement le faire. Mais je me demande s’ils n’ont pas fait entrer le « loup » dans la bergerie en lui déroulant le tapis rouge…

 

Incontournable, en particulier chez les jeunes

Mon métier de consultant m’amène à rencontrer de nombreuses équipes, partout en Europe, dans des secteurs très différents qui n’ont en commun que de faire du eBusiness. Chez la plupart des marketeurs-ses avec qui je collabore, je suis frappé de voir à quel point ils ont le réflexe « Canva », là où 10 ans en arrière, ils auraient utilisé la suite Adobe, et 20 ans en arrière, Quark Xpress. Ils utilisent Canva car c’est l’outil qui les a accompagné durant leurs études. Et qu’il est gratuit, ou du moins peu coûteux, comparé à la suite Adobe. De surcroît, c’est le couteau suisse des marketeurs modernes, qui leur permet de créer bannières web, illustrations pour les réseaux sociaux, animations, videos, diaporamas… et supports print. Je serai curieux de savoir combien de part de marché Canva a pris à Adobe. A écouter les services pré-presse de multiples imprimeurs en ligne, en tout cas, la part de fichiers PDF provenant de Canva ne cesse de croître.

 

Une expérience et un scope uniques

Outre son prix et son côté « tout-terrain », il faut reconnaître que la plus grande force de Canva réside dans son ergonomie et sa facilité de prise en main. C’est simple, facile, ludique… et très vite, on se prend pour un « vrai » designer. Pas de prise de tête, pas besoin de tuto, pas de terminologie cryptique… Ce que Canva a réussi par rapport aux logiciels de design lui a permis de ringardiser également les éditeurs de templates dans le web-to-print : peu étaient ergonomiques, ludiques ou tout simplement « jolis »… et chacun avait sa propre logique et sa propre ergonomie, avec des limites fonctionnelles difficiles à comprendre.

Concrètement, aujourd’hui, au-delà de l’affichage du partenariat, de nombreux imprimeurs en ligne choisissent Canva car il leur permet de réaliser un bond fonctionnel et ergonomique majeur pour le plus grand bonheur de leurs clients. Et donc, d’un certain côté, de prendre un avantage concurrentiel sur leurs confrères.

 

Evolutions probables : textiles, 3D, album photo…

Canva est reconnu pour être l’une des startups à la croissance la plus rapide. Donc il ne va pas s’arrêter là. Logiquement, je pense que sur la feuille de route produit, les prochaines évolutions de l’outil devraient concerner les secteurs porteurs du marketing et de la personnalisation de masse :

 

  • Textile, pour le print-on-demand
  • Objets publicitaires personnalisés, avec rendu 3D
  • Albums photos, avec des modèles et une ergonomie adaptés, si ce n’est pas déjà fait…

Si cette feuille de route virtuelle était achevée, Canva couvrirait quasiment tout le scope de l’imprimerie en ligne, à l’exception de la signalétique et du packaging.

 

Un potentiel de standardisation du marché

Canva standardise la communication, c’est indéniable. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les CV que vous recevez pour des alternants ou des jeunes diplômés. Si vous faites attention, vous verrez qu’ils ont tous la même « patte » graphique, car ils sont réalisés pour la plupart sur Canva. Ce que de nombreux éditeurs de logiciels de web-to-print rêvaient d’accomplir, Canva est sur le point de le réaliser : devenir un standard de la personnalisation en ligne, en imposant une logique, une ergonomie et un process.

 

Et si vous n’adoptez pas cette ergonomie, vos clients risquent d’être frustrés et d’aller voir ailleurs, car ils apprécient vraiment ce fonctionnement. Comme Apple dans les smartphones…

 

Et ensuite ? Quel rôle pour l’imprimeur ?

Mon interrogation se situe sur l’évolution stratégique du marché : si dans deux ou trois ans, 80% des imprimeurs en ligne proposent Canva à leurs clients pour réaliser leur créa, comment se différencieront-ils ? A part le prix, il ne restera pas grand’chose. De surcroît, à faire leur créa dans Canva, les clients vont probablement commencer par aller sur le site canva.com plutôt que sur celui de l’imprimeur, cela paraît logique. Et donc, il est probable qu’ils cherchent depuis Canva.com à imprimer leurs réalisations.

Le paradigme actuel qui est : « je me connecte chez mon imprimeur, je fais ma créa sur Canva, puis j’imprime » risque de se transformer en « Je crée sur Canva, puis je choisis où j’imprime ». L’imprimeur sera alors relégué en fin de parcours d’achat, avec une plus-value minime et des différenciateurs réduits à peau de chagrin… De plateforme, certains risqueraient donc de ne devenir que des sous-traitants ou des marchands relativement anonymes. Ça ne vous rappelle rien ? Si, le modèle Amazon.

 

 

« Je brosse volontairement un tableau noir »…

… Mais c’est afin de pousser la logique au bout. Je pense que chaque imprimeur en ligne devrait aborder la question de ce type d’outil avec en perspective, une vraie stratégie à long terme, en pesant tous les risques et bénéfices. Et en évitant surtout de baser sa stratégie sur la recopie aveugle des leaders du marché.

 

 

Note de la rédaction : Le scénario envisagé par Ludovic Martin est déjà une réalité, en témoigne cette page du site Canva.com, qui détaille les produits (et leurs spécifications) proposés à l’impression par l’entreprise australienne. Une liste exhaustive, où la disponibilité des produits imprimables (communication petit format, signalétique, décoration, adhésifs, vêtements, books photos) varie en fonction des zones géographiques. Et sur la version française du site, un onglet propose à l’utilisateur de créer et commander ses produits imprimés directement à partir de la plateforme Canva.

 

https://www.canva.com/print/what-we-print/

Journaliste spécialisé dans le domaine des industries graphiques, Florent Zucca est rédacteur en chef du magazine IC LE MAG / Industries Créatives, où il analyse les opérations de personnalisation menées par les marques en matière de retail, de packaging, de décoration et de communication. Diplômé de l’ISCPA Lyon (Institut Supérieur de la Communication, de la Presse et de l’Audiovisuel), il a auparavant travaillé, pendant près de dix ans, dans la presse économique.