L e magasin physique dont on avait prédit la mort face au boom du e-commerce n’a pas disparu. Mais il s’est transformé, transcendant son statut de simple point de vente pour devenir davantage un lieu d’expérience. Les nouvelles technologies appliquées à l’univers du retail ont certes démultiplié les sources d’expérience, notamment en termes de process d’achat, mais n’ont pas, pour autant, annihilé toute envie de partage et d’échange chez le consommateur qui plébiscite toujours ces lieux d’expérience où la marque s’incarne physiquement.
Les enjeux aujourd’hui sont d’un autre ordre. Durable, engageant et interactif : cocher les cases qui se cachent derrière ces trois adjectifs semblent être désormais la voie à suivre pour concevoir des espaces réussis qui répondent à la fois à cette soif d’expérience mais aussi à de nouvelles exigences de sincérité de la part de consommateurs de plus en plus informés et de plus en plus engagés.
Quel peut-être l’avenir du magasin dès lors qu’il n’est plus l’épicentre de la consommation qu’il était auparavant ? Quelles nouvelles histoires raconter ? Comment incarner cette authenticité recherchée par les consommateurs ? Quelles stratégies de conception adopter pour apporter davantage de substance et de valeur émotionnelle à ses activations spatiales expérientielles ? Nous avons posé ces questions à des personnalités du secteur.
Propos recueillis par Bertrand Genevi & Cécile Jarry.
APPOLINE PICOT, EXECUTIVE CREATIVE DIRECTOR EXPERIENCE CHEZ LANDOR
Après dix ans à Londres, suivis de sept dans la région Asie-Pacifique, au service de marques et d’enseignes comme Sephora, Adidas ou Jaguar, Apolline Picot a pris la direction de la création expérience au sein des équipes de l’agence de design Landor, à Paris et Genève. Forte de son profil international, cette experte de l’expérience retail apporte un éclairage intéressant sur le marché français.
Quel regard portez-vous sur le retail en France par rapport aux autres pays dans le monde ?
En Asie, les magasins sont beaucoup plus axés sur l’expression des valeurs de marque qu’en France. Or le retail français est en difficulté et les annonces de fermetures de magasins se multiplient. Donc une des actions à mener, est de repenser la manière dont les marques interagissent avec les consommateurs. Chez Landor, nous aidons les marques à repenser leur expérience en boutique. Le concept d’« expérience » existe en France, bien entendu, mais sa définition n’est pas toujours très claire. Notre agence n’est pas là pour déterminer combien de produits doivent être placés sur une PLV. L’idée est plutôt de regarder la marque dans le détail : son architecture, ses valeurs, sa culture. Notre valeur ajoutée tient dans la matérialisation et la traduction fidèle des ambitions d’une marque dans le cadre d’une expérience physique.
Pensez-vous que les fermetures de magasins sont essentiellement liées à la difficulté des marques à traduire leurs valeurs au sein des lieux de vente ?
Il y a une vraie question à se poser. La manière de consommer a considérablement changé ces dernières années. Le magasin ne peut plus être le même qu’avant la crise sanitaire. Le parcours client a changé, car toutes les générations ont appris à identifier les produits et à les acheter sur Internet. Le magasin doit donc s’adapter, en faisant rêver et en ouvrant l’imaginaire créatif de la marque. En France, on n’a pas encore tout à fait réalisé ce tournant de manière visible, alors qu’il est devenu essentiel pour la survie des magasins. Pour le mener à bien, cela passe par un changement de méthodologie de travail. C’est un processus complexe, parce que cela affecte les structures internes, le recours à des agences de design, les investissements et quantité d’autres paramètres.
« Le magasin est une manifestation
physique des valeurs d’une marque »
Les consommateurs français expriment-ils l’envie de vivre des expériences plus poussées en magasin ?
Oui. On peut le voir, par exemple, sur les Champs-Élysées avec le magasin Nike, qui propose un engagement et un parcours client original. Certaines marques arrivent à aller plus loin que la dimension transactionnelle et il existe un véritable intérêt des consommateurs. Mais il faut déployer la bonne solution, au bon endroit, au bon moment. Il n’y a pas de recette magique qui s’applique à tous les magasins et dans toutes les rues. Il faut analyser le parcours consommateur et comprendre à quel moment et sur quel espace l’incitation à la découverte d’un univers de marque représente un enjeu stratégique.
Le magasin et sa logique d’incitation à la consommation a-t-il encore un sens dans le contexte d’urgence climatique ?
Le magasin est une manifestation physique des valeurs d’une marque. Donc la problématique est plus large que de savoir si le magasin a un avenir ou non. On doit plutôt se demander quels sont les changements que les marques doivent opérer en interne, notamment dans leur processus de recrutement ou dans leur rapport à la surconsommation, et comment ces problématiques se traduisent dans les espaces physiques. Bien sûr, on peut avoir un impact sur la manière dont on conçoit les magasins, en changeant les matériaux utilisés, en limitant l’usage de l’air conditionné ou en réduisant la luminosité. Mais, au fond, l’essentiel se joue dans l’effort des marques, en amont, pour intégrer ces problématiques de transition environnementale au cœur de leur ADN.
« La problématique est plus large que de savoir si le
magasin a un avenir ou non. On doit plutôt se
demander quels sont les changements que les
marques doivent opérer en interne et comment ces
problématiques se traduisent dans les espaces
physiques ».
ÉMOTION – Pour le flagship de Lancôme sur les Champs-Elysées, Landor a conçu des espaces visant à développer une connexion plus émotionnelle avec la marque.
Comment accompagnez-vous vos clients chez Landor en termes de branding ?
Certains de nos clients ont déjà opéré une mise au point sur leurs valeurs et ils cherchent un partenaire pour repenser leur vitrine ou leur magasin. C’est le cas de Lancôme, qui, après avoir repensé son identité en se basant sur l’idée de joie de vivre et de beauté positive, souhaitait revoir son magasin à Paris. Nous avons co-créé ce flagship avec eux, parce que le premier expert de Lancôme, c’est la marque elle-même. Dans ce nouvel espace, il y a des produits en vente, car cela reste un magasin, mais on a aussi conçu des corners sur l’apprentissage de la beauté, afin de trouver le bon produit pour soi et d’initier une connexion plus émotionnelle avec la marque. Ce lien plus profond permet de fidéliser les clientes. Tout est réfléchi selon notre principe « PHD », qui englobe les dimensions physique, humaine et digitale du parcours client.
Un autre exemple récent de notre travail, c’est Tata, le groupe industriel indien propriétaire de Jaguar et Land Rover. Le groupe avait pour ambition de lancer une nouvelle marque de véhicules électriques, qui s’inscrit plus dans la promotion d’un changement de mode de vie que dans l’achat d’une voiture. Nous avons créé la marque de A à Z, de ses valeurs à sa manifestation physique et digitale, en passant par sa baseline « Move with Meaning ». Notre réflexion s’est notamment portée sur la réduction de la consommation d’encre pour les documents imprimés et sur un besoin minimum d’énergie pour les ressources numériques, grâce à l’usage de noir et de typos légères à télécharger. Les concessions sont baignées de lumière naturelle, les couleurs utilisées évoquent la technologie et la durabilité, et tout y est fait pour déclencher des conversations qui vont au-delà de l’automobile.
Au-delà des produits neufs, la seconde main, la réparation et le recyclage infusent dans toute la société. Est-ce là une opportunité pour le magasin de demain ?
Absolument. En France, les pouvoirs publics luttent contre la « fast fashion » et encouragent la réparation. Nous sommes parmi les pays pionniers dans le monde sur ces sujets. Cela pousse les marques à développer cette réflexion autour de l’évolution des modes de consommation. Mais il faut que le discours soit authentique et que les actes suivent. Le greenwashing est rapidement identifié par les consommateurs et il les fait fuir. La réparabilité ou la location, cela a du sens. Il faut encourager plus d’initiatives de ce type, qui s’inscrivent sur un temps long. Le magasin doit devenir la vitrine des réflexions d’une marque, en vue d’apporter une solution pertinente aux consommateurs.
MARIE REYNAUD, DIRECTRICE MARKETING ET DU DÉVELOPPEMENT CHEZ LONSDALE
Agence indépendante spécialisée en branding et design, Lonsdale accompagne marques et enseignes depuis 1961 dans la définition de leur singularité. Son département Retail & Architecture intervient sur toute la chaîne de valeur design (innovation, stratégie, conception, mise en œuvre), ce qui lui permet de gagner en cohérence et pertinence. Pour Marie Reynaud, sa directrice marketing et du développement, c’est aussi un atout qui permet à l’agence de rester agile pour proposer des activations spatiales en phase avec les nouveaux usages expérientiels souhaités par les marques.
Quel peut-être l’avenir du magasin dès lors qu’il n’est plus l’épicentre de la consommation qu’il était auparavant ?
Même si les Françaises et les Français continuent à consommer, il est vrai que le matérialisme ne répond plus aux aspirations d’un nombre croissant de consommateurs et que le magasin ne peut plus être le lieu d’une relation qui serait simplement transactionnelle.
On le voit dans les briefs que nous font nos clients, leurs interrogations portent sur les usages de leurs points de vente. Aujourd’hui, il est beaucoup question de chronotopie. On nous demande de repenser les espaces de vente ou de restauration en fonction des différents moments de la journée et des usages possibles, tout en considérant les différents publics présents.
Le secteur de l’hospitality est riche d’enseignements dans ce domaine. L’enseigne Dell’Arte par exemple nous a demandé de réfléchir aux différents usages possibles de ses restaurants en travaillant sur l’accueil de différents publics, du repas en famille à l’apéritif afterwork en passant par le déjeuner d’affaire. Pour chaque usage, nous devions imaginer la meilleure façon d’utiliser au mieux l’espace avec un agencement optimisé.
Le fort développement des food courts ou food halls, participe de cette même tendance. Ils présentent l’avantage de proposer une large diversité gastronomique sous un même toit et de vivre, dans le même temps, des moments culturels. C’est une aventure collective qui a le mérite de simplifier la vie des groupes aux goûts variés !
Les hôtels Jo&Joe ont aussi été pionniers dans le domaine en proposant des animations différentes au fil de la journée pour répondre aux attentes de différents publics, devenant ainsi le point de rencontres de différents publics, qui pour boire simplement un verre en milieu d’après-midi, qui pour venir écouter un concert au moment de l’apéritif.
« Le magasin ne peut plus être le lieu d’une
relation qui serait simplement
transactionnelle »
D’espaces commerciaux, on passe à des lieux de vie plus hybrides ?
C’est effectivement l’idée, les formats évoluent avec les usages. Outre le secteur de l’hospitality qui a été pionnier en la matière, d’autres secteurs s’inscrivent désormais dans ce mouvement. La MAIF a inauguré en 2021 un nouveau concept, la Station Maif, dans la gare de Rennes. Cette nouvelle vitrine n’avait pas pour objectif premier de séduire une nouvelle clientèle, bien que les intéressés trouveront des réponses à leurs questions, mais plutôt de proposer une nouvelle expérience en valorisant des initiatives locales engagées, ayant un impact positif sur l’environnement et la société, et de promouvoir des partenaires qui leur ressemblent, dans une démarche sociale et sincère. Une sorte de tiers-lieu qui favorise les échanges et l’engagement, l’incarnation de la des engagements de l’assureur-militant.
Cette idée de renouer le dialogue avec les Français, c’est aussi le souhait de Renault qui réouvre des concessions nouvelle génération en cœur de ville : de petits espaces où il n’expose qu’une ou deux voitures mais où il propose différents services ainsi qu’un espace café pour nourrir le lien avec la marque. L’idée est de s’insérer dans le quotidien des citadins.
« Personne aujourd’hui ne remet en cause le magasin
ou le monde du retail, l’idée est plutôt de réfléchir aux
meilleures façons d’incarner les nouveaux usages qui
apparaissent et de modéliser de nouvelles façons
d’habiter les espaces »
SHOWROOMING – Dans sa nouvelle vitrine des Champs-Elysées conçue par Lonsdale AKDV, Renauly présente l’ensemble de sa gamme via un simulateur 3D et un écran configurateur géant. L’espace accueille égalemet la boutique The Originals Renault Store, qui vise à faire de Renault ne marque lifestyle.
S’adapter aux usages est une forme d’éco-responsabilité, mais génère parfois des levées de bouclier incroyables, à l’instar des réactions qui ont suivi la dernière campagne de l’ADEME qui mettait en scène le personnage du « dévendeur ». Certains y ont vu une attaque en règle contre le retail, qu’en pensez-vous ?
Toutes les études le montrent : les Français attendent des enseignes qu’elles mettent davantage en avant leurs initiatives en termes d’économie circulaire. Selon une étude de KPMG pour la FEVAD, 91 % des Français ont ainsi acheté un bien de seconde main au cours de 2021 et la demande de se consolider. Le modèle économique n’est pas toujours évident à trouver mais le virage éco-responsable des jeunes générations est bien là et la demande se consolide, portée par l’inflation. Des marques comme Petit Bateau et Okaïdi l’ont bien compris avec leurs offres de seconde-main et de location de vêtements. L’opérateur français de la mode enfantine de seconde main Smala qui opère essentiellement en ligne, a ouvert un pop-up store à Paris en 2023 pour se faire connaître et se mettre dans le quotidien des consommateurs. Leroy Merlin a ouvert dans le 15ème arrondissement de Paris un nouvel espace où il ne vend rien mais où il met à la disposition des Parisiens des outils pour faire leurs travaux. Decathlon propose de la location de paddles ou de vélos pour enfants. Chez Lonsdale Design, nous avons créé la marque La Malle aux Trésors, à découvrir au rayon textile de l’Intermarché de Castelnaudary. Le but était de proposer un corner de mode femme mêlant seconde main et outlet au sein de du supermarché. Du naming, à l’identité visuelle en passant par le concept mobilier – un seul meuble penderie pour le transport et la présentation en magasin avec ILV intégrée -, tout a été conçu par l’agence, le tout dans une démarche forcément responsable, avec l’utilisation de modules réutilisables en carton recyclé et recyclable, encres ECO, accastillage en bois et carton.
Pour répondre à votre question, il ne s’agit donc pas de remettre en cause le magasin ou le monde du retail mais de réfléchir aux meilleures façons d’incarner ses valeurs et de répondre aux nouveaux usages dans un lieu physique qui est voué à perdurer via la création de nouveaux leviers de rentabilité.
CORALIE BERGDOLL, DIRECTRICE DE LA PROSPECTIVE, DE L’INTELLIGENCE RESPONSABLE ET DES STRATÉGIES DU GROUPE ELBA
Acteur historique de la PLV de luxe et de l’événementiel retail haut de gamme, le groupe Elba accompagne depuis 15 ans ses clients dans leur stratégie RSE. Sa raison d’être : imaginer des expériences qui marquent profondément les esprits, sans pour autant dévisager la planète. Sa force réside dans sa maîtrise complète de la chaîne de production, de l’idée à sa concrétisation, avec une offre de services qui comprend à la fois le conseil en stratégie, la réflexion prospective, le design, la production et la gestion de la fin de vie de ses produits. Pour Coralie Bergdoll, sa directrice de la prospective, cette démarche globale est essentielle pour pouvoir conduire les marques sur le chemin d’un design propriétaire et leur proposer une vraie vision d’avenir pour leurs futurs projets.
La PLV est un produit éphémère par essence. N’est-ce pas un dilemme quand on prône un développement résolument durable ?
La force du groupe Elba est justement d’avoir réfléchi à ce « dilemme » depuis sa création et d’avoir repenser le modèle pour apporter des réponses durables à ses clients car nous savions qu’un jour ou l’autre ils seraient confrontés à ces questions. Et nous y sommes. Les magasins sont aujourd’hui des lieux d’engagement où les marques veulent incarner leurs valeurs dans un design, une mise en scène particulière, de nouveaux éléments de langage. Elles se doivent donc d’être cohérentes. L’objet vendu n’est désormais plus le seul levier pour créer du lien. Tout doit désormais faire sens. Pour Elba, l’ambition est d’accompagner les marques sur ce chemin en les aidant à raconter leur histoire différemment.
« L’objet vendu n’est plus le seul levier pour
créer du lien »
Vous avez l’écoute du marché ?
Aujourd’hui, le groupe Elba se porte bien du fait de cette cohérence dans son approche. Et parce qu’il est à même d’apporter des éléments tangibles pour accompagner les marques dans cette nouvelle narration. Contrairement à ce qui a pu se passer sur le marché, Elba a toujours eu ses unités de production en France. Nous en avons trois en région parisienne et une à Strasbourg. À une époque, cela a pu être perçu comme une faiblesse dans notre modèle, aujourd’hui, c’est ce qui fait notre force car nous maîtrisons toute la chaîne et sommes donc à même de gérer au plus près nos impacts et d’apporter des réponses précises aux demandes de nos clients en termes d’écoresponsabilité.
Il y a trois ans, nous avons ouvert une succursale en Asie, avec un bureau de design à Singapour. Pourquoi ? Pour accompagner nos clients dans leur déploiement dans cette région. Là encore, il s’agissait d’être en accord avec nos valeurs. Il est bien évident que nous ne produirons ce qui sera mis en place en Asie dans nos unités de production en France. Notre stratégie vise plutôt à sourcer des savoir-faire locaux pour rester parfaitement cohérent avec notre raison d’être.
« Je suis intimement convaincue que l’expérience de
l’usage et de service prendra le pas sur
l’expérience du produit. »
Rares sont les marques à ne pas revendiquer aujourd’hui une approche RSE, avec des arguments qui se ressemblent tous peu ou prou. Eco-conception, matériaux durables, etc. Si le produit ne peut plus être le seul levier pour créer du lien et faire la différence, quelles sont les nouvelles pistes de narration possibles ?
Je suis intimement convaincue que l’expérience de l’usage et de service prendra le pas sur l’expérience du produit. Et que chaque nouveau lancement fera l’objet d’une réflexion en ce sens. Certains de nos clients nous questionnent déjà sur ces sujets et nous réfléchissons avec eux très en amont pour interroger la pertinence de tel ou tel lancement, à l’aune des enjeux actuels. Nous tentons d’amener nos clients sur le terrain d’une pensée plus civique que commerciale, autour d’une notion de bien commun.
Travailler sur les usages permet aussi de déconstruire les fausses croyances autour des matériaux recyclés et recyclables par exemple, qui ne peuvent se suffire à eux seuls et pour lesquels on ne peut faire l’économie d’une réflexion autour des usages.
Nous parlions d’éphémère. Chez Elba, nous développons des concepts de mobilier permanent et militons auprès de nos clients pour mettre une place une culture du design propriétaire qui permet de travailler sur le sens profond du message de la marque. Tout en remettant de la poésie dans la technique.
PHILIPPE DE MAREILHAC, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE MV DESIGN
Pour le retail de demain, le dirigeant de l’agence d’architecture et de branding MV Design croit beaucoup au développement de la boutique atelier et à la valorisation de l’offre de seconde main. En lien avec cette philosophie, son agence, certifiée B Corp, porte une offre baptisée « Green Griffe » dédiée à une conception plus responsable des lieux de vente. Des enseignes comme Kiabi et Générale d’Optique se sont laissé séduire.
Comment se porte le retail ?
Le retail souffre, mais il est résilient. Pendant la période du Covid, on a connu une explosion du e-commerce, mais depuis, il a connu un repli. Aujourd’hui, tous nos clients souhaitent réinvestir dans leurs magasins, car les clients sont bien présents. En revanche, il y a un besoin d’ajustement global. Les enseignes ont ouvert trop de magasins, elles ont financé leur croissance en achetant du chiffre d’affaires, et cela crée une tension sur la consommation. Une partie des centres commerciaux vont péricliter et d’autres vont continuer à connaître une affluence conséquente. A mon avis, 20 à 30 % des magasins devraient fermer, à terme. Trop de boutiques n’ont plus de sens parce qu’elles sont trop petites, mal conçues ou car leur chiffre d’affaires est insuffisant. Il faut se focaliser sur ce qui marche et procéder à une rationalisation du parc.
« Toutes les enseignes cherchent un
business model autour de la seconde main
et de la réparation. »
Comment le secteur doit-il s’adapter aux nouvelles attentes des consommateurs ?
Les Français consomment moins à cause de la baisse de leur pouvoir d’achat et/ou d’une prise de conscience environnementale, mais on ne se dirige pas pour autant vers un monde sans consommation. Cela implique simplement que, demain, on vendra moins de produits, mais plus de services et d’expériences. Dans la beauté, une enseigne comme Rituals, par exemple, se transforme en ouvrant la « Mind Oasis », un espace intégré offrant des séances de relaxation mentale et d’hydromassage. C’est une bascule du modèle traditionnel, car on ne vend plus simplement des produits neufs. Le magasin doit se transformer dans ce sens et devenir un lieu plus commerçant. Quelques années en arrière, les magasins ressemblaient à des entrepôts où on venait acheter des produits sur des étagères. Aujourd’hui, on attend autre chose. Dans la mode, une réflexion est en cours afin de réduire le nombre de magasins pour en ouvrir de plus grands, plus expérientiels, plus spectaculaires. Les consommateurs sont friands de ces lieux de vente, parce qu’on le veuille ou non, les Français consomment.
Sur des surfaces plus réduites, le format boutique/atelier peut-il aussi constituer le futur du retail ?
J’aime beaucoup cette idée de la boutique/atelier, car on constate que de plus en plus de personnes souhaitent faire réparer leurs objets. C’est un service d’autant plus vertueux qu’il est réalisé à proximité de leur domicile. Chez MV Design, nous scénarisons le savoir-faire de façon globale, quel que soit le secteur d’activité. L’enseigne Pomme de Pain nous a sollicités pour revoir le concept de leurs magasins. Leur point fort tient dans la fabrication de sandwichs à la demande, in situ. C’est pourquoi nous avons conçu un espace très visuel dans le restaurant, pour que, dès leur entrée dans les lieux, les clients découvrent les employés préparant les sandwichs. On transmet le message que mon sandwich va être frais, de meilleure qualité et que l’attente sera plus agréable. On s’inscrit dans cette logique de l’atelier, d’un petit lieu de production qui réalise tout sur place.
SERVICES – MV DESIGN a créé un espace central dans les magasins Kiabi, intégrant des ateliers de réparation et de customisation SECONDE MAIN – L’offre de seconde main de Kiabi a été intégrée dans le mobilier existant de chaque rayon, au plus près des produits neufs.
Chez MV Design, vous proposez l’offre « Green Griffe », qui valorise une conception plus responsable des lieux de vente. Quelle est votre approche ?
Notre processus de certification B Corp engagé il y a plusieurs années nous a obligé à réfléchir longuement à cette question. L’offre « Green Griffe » faisait partie des axes de travail.
Le premier objectif de cette approche, c’est l’écoconception : comment concevoir un magasin ayant un moindre impact environnemental. On travaille par exemple sur les matériaux et la façon d’assembler du mobilier en utilisant moins de colle et plus de fixations mécaniques, afin de pouvoir le faire évoluer ou le recycler plus facilement.
Le deuxième objectif, c’est le réemploi : que peut-on garder de l’existant et que réinventer à partir de cela. Sur des problématiques proches du réemploi, il existe aussi la notion d’obsolescence esthétique. On essaye de concevoir des magasins qui vont durer dans le temps. On utilise par exemple des couleurs plus neutres et des montants plus sobres. En revanche, l’emphase est mise sur le graphisme et la signalétique pour apporter du changement et de la modernité.
Le troisième axe de « Green Griffe » touche à l’offre et aux nouveaux usages. Il faut répondre à la demande pour la seconde main, aux services de location ou de réparation, et valoriser tous ces services en magasin. Car quand on parle d’impact environnemental, il ne faut pas uniquement penser à réduire la consommation électrique, il existe aussi tous les services offerts pour une consommation plus durable.
Enfin, le dernier point est relatif au bien-être des collaborateurs. Les locaux doivent gagner en confort acoustique et en ergonomie. En lien avec notre offre « Green Griffe », nous sommes partenaires du collectif Génération Responsable, qui rassemble plus de 37 000 points de vente à travers la France. Nous avons animé des workshops sur la seconde main et plusieurs enseignes, qui sont concurrentes, y partagent leurs bonnes pratiques RSE. Cela nourrit aussi notre offre.
Quel travail avez-vous engagé avec Kiabi sur la seconde main ?
La seconde main et la réparation représentent les piliers du nouveau concept sur lequel nous avons collaboré. Aujourd’hui, toutes les enseignes cherchent un business modèle autour de ces questions, car il s’agit d’une demande des consommateurs, mais ce n’est pas évident à mettre en place en magasin. Pour Kiabi, nous avons créé un grand cœur serviciel central incluant des ateliers de réparation et de customisation. L’offre de seconde main a été intégrée dans le mobilier existant de chaque rayon, au plus près des produits neufs, car c’est précisément à cet endroit qu’on répond à un besoin client. Une doudoune d’occasion doit être placée à proximité des doudounes neuves. Si l’opération fonctionne, le magasin peut étendre la seconde main dans le rayon, et l’inverse est aussi vrai. Ce dispositif offre une grande modularité. Un corner dédié demande de libérer 30 mètres carrés et oblige à déplacer toutes les familles de produits, donc d’un point de vue architectural, c’est quasi impossible.
« Quand on parle d’impact environnemental, il ne faut
pas uniquement penser à réduire la consommation
électrique ou à utiliser des matériaux plus durables, il
faut aussi penser à des modes de consommation plus
durables avec tous les services associés. »