Depuis plusieurs années, le papier peint s’offre un retour en force sur la scène « déco ». Un revival que l’on doit notamment au progrès de l’impression numérique. Diversité des supports imprimables, rapidité d’exécution, production à la demande, personnalisation et créativité tous azimuts : en passant au numérique, la décoration murale s’émancipe des contraintes de la rotative traditionnelle pour se réinventer… Tour d’horizon d’un marché, très concurrentiel, qui a le vent en poupe !
Le papier peint est né en Angleterre au XVIe siècle où, comme en France, il a d’abord supplanté la tapisserie dans les demeures bourgeoises. La mécanisation accélère sa fabrication et lui permet d’intégrer rapidement tous les foyers, dès le milieu du XIXe. Au XXe siècle, après un âge d’or dans les années 1970, avec plus de 100 millions de rouleaux vendus par an, le marché du papier peint périclite au profit de la peinture, plus facile et rapide à appliquer. Pénible à poser, fastidieux à décoller, le papier peint souffre de son image ringarde auprès du grand public.
Ainsi, en 2017, 20 millions de rouleaux de papiers peints ont été vendus en France, quand ce chiffre atteignait encore 70 millions en 1995, selon les données de l’Association pour la promotion du papier peint (A3P). Des chiffres qu’il faut toutefois manipuler avec précaution car, comme l’explique Christophe Koziel, créateur de la marque éponyme et fer de lance du trompe-l’œil photographique, « ce marché en berne depuis 12 ans est en pleine mutation ». En effet, la décroissance annuelle moyenne de 3 % enregistré depuis 2005 ne concerne que les papiers peints unis, souvent remplacés par de la peinture. Pour le reste, après avoir été boudé pendant près de deux décennies, le papier peint s’offre, contre toutes attentes, un véritable retour en grâce.
©Koziel
L’IMPRESSION NUMÉRIQUE EXPLOSE LES STANDARDS TRADITIONNELS
« Ce second souffle, le papier peint le doit notamment à l’impression numérique et au papier peint intissé, explique Pascale Tessier-Morin de l’Atelier Images & Cie, spécialiste de l’impression numérique grand format et de la communication évènementielle. L’impression numérique permet désormais de diversifier les supports (toile, papier, vinyle, bâche, caisse américaine) et ouvre les possibles en matière de personnalisation. Aujourd’hui toutes les customisations sont envisageables ». L’impression numérique offre surtout la possibilité d’imprimer des petites séries à prix raisonnable. « L’impression traditionnelle requiert la gravure de cylindres, dont le coût unitaire varie entre 300 et 800 euros. À raison de trois à sept cylindres par création, les coûts fixes s’envolent vite. L’édition de 300 rouleaux minimum est ainsi nécessaire pour amortir les frais de gravure. Et à cela s’ajoute le stockage », détaille Christophe Koziel.
Mais aujourd’hui, l’impression numérique représente encore moins de 5 % de la production totale de papier peint, comme l’explique Patrick Chavanne, gérant de ConceptUWall, créateur lyonnais de papiers peints panoramiques : « Aussi, même si la productivité en numérique est passée de 10 m2 à plus de 1000 m2 à l’heure sur les 15 dernières années, une rotative en héliogravure réalise 300 m2 de papier peint à la minute ». En revanche, l’impression numérique permet de fabriquer quasiment à la demande, sans avoir à produire plus de matière que nécessaire, limitant les pertes et le stockage. « Le numérique permet de s’affranchir des rapports d’impression et des motifs répétitifs. On peut maintenant créer des décors panoramiques à partir d’une illustration ou d’une photo. L’impression numérique permet aussi d’adapter la largeur des lés à chaque projet. Nous ne sommes plus cantonnés aux 53 cm des machines traditionnelles, ce qui signifie moins de raccords sur les murs », poursuit Patrick Chavanne.
©ConceptUWall
QUAND L’INNOVATION ET LA CRÉATIVITÉ NAISSENT DES CONTRAINTES
De plus, l’intissé ne se déchirant pas, il est désormais possible d’imprimer des laizes XXL, pouvant atteindre jusqu’à cinq mètres, sur des matières synthétique, polyester ou vinyle. Cette technologie permet aujourd’hui de revisiter les décors panoramiques typiques du XIXe siècle, à la manière de la célèbre Manufacture Zuber. Du côté de l’Atelier D’Offard, le numérique représente une partie infinitésimale de l’activité de la maison tourangelle, qui fête cette année ses 20 ans d’existence. L’entreprise, qui reproduit les gestes ancestraux de la fabrication du papier peint à la planche et au pochoir, comme au XVIe, revisite les classiques, art déco et art nouveau. Spécialisée dans la restitution pour les monuments historiques, elle s’est dotée de machines d’impression numérique. « Cela nous permet de répondre, entre autres, aux demandes du monde du cinéma, mais elles marchent très peu », avoue Muriel Richard, de l’Atelier d’Offard.
Pour la designer Aurélia Paoli, fondatrice et directrice artistique du studio Beauregard, l’avènement du numérique dans le secteur de la décoration murale force les acteurs du marché à redoubler d’imagination. Agence de design global, mais aussi éditeur de matériaux décoratifs, Beauregard s’est fait connaître pour ses collections de carreaux de ciments à l’esthétique inspirée du Bauhaus. Murs, sols, fenêtres : Aurélia Paoli décline ces motifs épurés sur ses fameux mini-lés de papier peint, labellisés par l’Observeur du Design 2018 (prix national du design français). « Ce que j’apprécie avec l’impression numérique, c’est que l’on peut décliner nos motifs sur différents supports, comme la toile Jet Tex, fabriquée par la société française Dickson Coatings, avec qui j’ai collaboré, mais aussi le vinyle, support de mes collections “vitrail” pour fenêtres et miroirs, explique la designer. Ce sont les contraintes qui me poussent à créer. Pour exemple, quand j’ai imaginé mes collections de vitraux, c’est parce que je n’avais pas les moyens de m’en offrir. J’essaie de proposer des choses à l’inverse de la tendance. La technologie permet de reproduire des textures et des matières, comme la nacre ou le marbre, avec leurs accidents, pour les rendre encore plus réels. Là c’est intéressant ». Un avis partagé par Christophe Koziel, qui voit dans la frustration le meilleur moteur de création et pour qui le futur du papier peint se joue sur le terrain des motifs et des matières. Pour le patron la maison d’édition lilloise Koziel, l’impression numérique réinvente les arts déco.
©Beauregard
DES CADENCES DE CRÉATION CALQUÉES SUR CELLES DU PRÊT-À-PORTER
Mais pour Hervé Piolat, Pdg de NeoDKO, éditeur et producteur de revêtements muraux, l’arrivée du numérique sur le marché du papier peint implique d’investir régulièrement dans du nouveau matériel, afin de permettre aux designers de continuer à imaginer de nouvelles créations. « Nous venons ainsi de nous équiper de la dernière machine numérique R1000, du constructeur HP, qui nous permet d’imprimer du blanc », explique le directeur de la société iséroise. Nombreux sont les acteurs sur ce secteur très convoité. Les dernières parts de marché disponibles poussent fabricants et prestataires à rivaliser d’inventivité et de dynamisme.
©NeoDKO
Certaines marques calquent même leurs cadences de création sur celles du prêt-à-porter, comme Sébastien Barcet, fondateur et directeur artistique de la société Le Presse Papier, concepteur, éditeur et fabricant de papier peint de collection et de textiles imprimés. Entre tradition et modernité, il revisite les motifs du XXe siècle au travers de collections colorées qu’il renouvelle au fil des saisons. Une grande partie de ses créations sont travaillées à la main, de façon traditionnelle. Peints à la gouache, dessinés au crayon à papier, les motifs sont ensuite scannés, puis imprimés sur du papier texturé lin. « Le Presse papier réactive le savoir-faire des dessinateurs textiles des soyeux, tout en utilisant les nouvelles techniques numériques et écologiques », explique le dirigeant. Fan de William Morris et fasciné par les grandes maisons anglaises, à l’image de House of Hackney, Sébastien Barcet décline des collections graphiques ou florales comme, par exemple, son motif « Madeira », clin d’œil assumé à la Manufacture Zuber.
©Le Presse Papier
LE NOUVEL ELDORADO
Mais malgré tous ses avantages, l’impression numérique possède aussi ses limites. Ainsi, ce type d’impression ne permet pas le rendu de la cinquième couleur. Exit donc le doré, l’argenté et le cuivré. « Aujourd’hui, on peut s’approcher du Pantone, mais on ne pourra obtenir qu’un faux doré, un faux argenté ou un faux cuivré. On peut évidemment venir apposer des feuilles d’or ou d’argent, mais le coût ne sera, bien sûr, pas le même », précise Sébastien Barcet. Cependant, l’impression numérique ouvre grand le champ des possibles aux petits créateurs, attirés par ce nouvel eldorado. Nombreux sont ceux qui se lancent dans l’aventure. À l’image de la société montpelliéraine Murs Sauvages, créée en octobre 2018 par un trio complémentaire : un graphiste, un imprimeur et une architecte d’intérieur. Moins d’un an plus tard, la jeune pousse compte déjà 50 références à son catalogue, dont le « Montis », modèle phare de la marque : un papier peint 100 % recyclable, pré-encollé, lessivable et de fabrication 100 % française, livrable en 10 jours… Les commandes qui tombent sont autant de preuves que le marché devrait tenir encore quelques temps ses promesses.
Trois questions à Christian Benini, fondateur et directeur artistique de la société italienne WALL&DECO, spécialiste du papier peint et du revêtement mural.
Quelle est l’esthétique et la philosophie de Wall&Decò ?
Pour moi, le papier peint est un élément d’ameublement, au même titre qu’un canapé. En 2005, notre première collection, avec ses motifs macro très identifiables, a contribué au développement de notre marque. Aujourd’hui, nous déclinons quatre collections. Nous utilisons du vinyle et de l’intissé pour les collections Contemporary Wallpaper et Essential Wallpaper. Pour nos produits Wet System et Out System, nous imprimons sur un mélange de fibres techniques et de résines. Tous les ans, nous créons de nouveaux modèles. À ce jour, nous comptons plus de 1500 motifs différents.
Comment les avancées technologiques impactent le marché du papier peint ?
Aujourd’hui, beaucoup d’éditeurs traditionnels s’équipent en impression numérique pour développer leurs possibilités de création. La technologie progresse très vite, on produit plus rapidement, il faut donc suivre. Tout cela nous contraint à optimiser nos procédés d’impression, tout en restant attentif au respect de l’environnement.
Comment l’impression numérique a-t-elle bouleversé votre manière de travailler ?
On peut désormais, grâce au progrès de l’impression numérique, proposer de véritables projets sur-mesure. Aussi, nous travaillons étroitement avec les architectes et autres prescripteurs. Aujourd’hui, nous n’avons plus de stock, nous produisons à la demande. Pourtant autant, nous ne sommes pas dans l’instantanéité.
©Wall&Deco