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    Etienne Mineur : « L’IA c’est comme un super assistant, qui a deux ans d’âge mental, qui ne distingue pas sa droite, de sa gauche, mais… qui dessine comme un dieu ! »

    Cofondateur et directeur de la création de l’agence parisienne Volumique, le designer Étienne Mineur est l’inventeur des Spirogamis, technique de pliage de papier en forme de spirale, mais aussi de nombreux brevets dans le domaine de l’interaction dite tangible (action qui consiste à utiliser des objets pour interagir avec les informations numériques cachées, ndlr). Étienne Mineur enseigne aussi à l’ENSCI – Les Ateliers et à l’école Camondo de Paris.

    L’IA nuit-elle aux créatifs ?

    Je suis entré aux Arts Décos en 1987, il n’y avait pas d’ordinateur. Quand j’en suis sorti, tout le monde était équipé. L’informatique a facilité les pratiques, donnant l’illusion à certains de pouvoir s’improviser graphistes, faisant craindre à d’autres que leur métier allait disparaître… Pourtant, cet outil a entraîné une explosion de créativité dans le secteur graphique. Ça, c’était il y a 30 ans. Je fais ce parallèle car l’IA, qui permet aujourd’hui de créer rapidement des images satisfaisantes et flatteuses, peut susciter les mêmes craintes et ambitions.

    C’est quoi un biais cognitif ?

    Une IA est nourrie et entraînée sur un corpus de données. Comme l’IA a aspiré l’intégralité du contenu Internet et qu’elle n’a ni sens commun, ni éthique, ni morale, cette somme de statistiques et d’algorithmes oriente les propositions qu’elle génère. Or, aujourd’hui, les principaux modèles d’IA sont en majorité anglosaxons donc orientés et certains pays sont sous représentés. Il faut donc avoir conscience de ces biais cognitifs, apprendre à jouer avec, et accepter de se battre contre les algorithmes. Ces IA sont programmées pour « halluciner » (terme consacré) et donner une réponse. Le défi pour le créatif est d’être plus intelligent que la machine.

    L’IA, gadget ou alliée ?

    L’IA c’est comme un super assistant, qui a deux ans d’âge mental, qui ne distingue pas sa droite, de sa gauche, mais… qui dessine comme un dieu ! C’est rigolo et fatiguant. Entre quiproquos, accidents et folie débridée, l’IA propose parfois, dans ce flux incohérent de suggestions, des pistes pertinentes, tels qu’un rapport de couleurs, de formes ou une textures. En tant que maître de nos projets, notre rôle c’est de donner les instructions les plus claires possible pour aider la machine à faire des propositions cohérentes.

    Quelles sont les limites de l’IA ?

    Il y a seulement un an, le problème de l’IA était la taille des images. Aujourd’hui, MidJourney génère des images jusqu’à 4000 pixels de large, donc niveau résolution, ça devient sérieux. Autre problème : réussir à conserver le prérequis initial et une cohérence des images. Par exemple : si je crée un personnage et que je change sa coupe de cheveux, l’IA va changer le visage ou repartir de zéro. Des outils qui améliorent ce processus existent aujourd’hui, en sélectionnant certaines zones. La technologie s’affine, mais pour le moment, à part entraîner son modèle d’IA sur un corpus d’images cohérent et tenter de déjouer les biais de la technologie, l’utilisation d’une IA c’est un peu le jeu du chat et de la souris.


    L’odyssée sonore pour la ville d’Orange

    En 2022, la ville d’Orange a demandé à Volumique d’imaginer un vidéomapping monumental de 15 000 m2, projeté dans le Théâtre antique, sur le thème de la création du monde. Cette création de 45 minutes en 9 actes et 11 tableaux a été réalisée en partie avec de l’IA. « Pour l’intention graphique, j’ai pris entre autres des visuels sur Pinterest, des images de magazines, des photos du Louvre, etc. Pour ajouter un peu de réalité, j’ai sélectionné des photos personnelles. Finalement, moins de 50 % des images ont été générées par IA » précise Étienne Mineur, directeur artistique du projet. « L’IA a proposé un large champ d’expérimentations graphiques, qui m’a permis de réaliser différents moodboards et d’orienter le projet vers des directions très graphiques, proche du pixel art, ou au contraire très réalistes. Nous avons ensuite animé ces images en 3D à la manière de statues grecques. Seul, je n’aurais pas pu le faire car j’aurai dû mobiliser une armée d’illustrateurs capables de générer toute une gamme de visuels dans des styles allant du dessin à l’aquarelle, jusqu’au cartoon ou la 3DGrâce à l’IA, j’ai pu proposer des pistes de travail en une semaine, au lieu de trois mois. Une fois les directions choisies, on a pu générer des palettes de couleurs, des décors, des planches de style, des ambiances… Il y a seulement un an, la taille des images générée par l’IA était de 512×512 pixels, or ce projet nécessitait du 16 000×10 000 pixels. Il a donc fallu trouver des solutions et vectoriser le tout. Mais l’usage de l’IA représente un gain de temps considérable, presque trop, car paradoxalement ce temps de conception permet aussi de prendre le recul nécessaire sur la création. »

    L’Odyssée Sonore, spectacle immersif généré par IA a remporté un « Innovation Awards Honoree » dans la catégorie « Content & Entertainment » lors du dernier CES qui s’est tenu à Las Vegas du 9 au 12 janvier 2024.L’événement avait intégré, pour cette édition, une catégorie supplémentaire spécialement dédiée à l’intelligence artificielle. IMKY by Edeis, la start-up française à l’origine de cette création visuelle et sonore, qui a travaillé avec Étienne Mineur, est la seule start-up française à décrocher cette distinction dans sa catégorie.

    Source des visuels : Etienne Mineur / Imki / edeis.

    Journaliste diplômée de l’Institut de la Communication et des Médias (Grenoble) et de l’Université Jean Moulin (Lyon), Emmanuelle Hebert a exercé dans les secteurs de la presse et de la communication. Elle travaille depuis 2017, comme indépendante, en conseil éditorial et collabore depuis deux ans avec IC Le Mag.