Depuis l’adoption, en mars 2007, d’un décret autorisant les bâches publicitaires sur les monuments historiques pendant des chantiers de rénovation, les imprimés très grand format ont fleuri sur les bâtiments classés. Ces toiles XXL, dont les revenus publicitaires contribuent au budget des travaux, ont fait naître un véritable marché de l’affichage monumental. Au-delà des monuments historiques, marques et enseignes n’hésitent plus, lorsque la réglementation locale le permet, à valoriser également les espaces disponibles sur leur propre patrimoine, lorsque celui-ci est en rénovation. Et quand la créativité s’allie à l’innovation technologique, travaux et chantiers deviennent des supports qui font très forte impression.
Publicité monumentale de la marque Roberto Cavalli sur l’église de la Madeleine à Paris, réalisée en impression numérique jet d’encre UV LED sur une bâche pleine (avec œillets et bandes de tirage en périphérie) reposant sur des cadres métalliques, eux-mêmes disposés sur l’échafaudage du chantier.
Gestion de projet : Art Boulevard (92), en partenariat avec Lioté (92) et Luminance (80)
Impression : BS2i (14)
Montage et éclairage : NeoSign (75)
Lorsque le décret autorisant les bâches publicitaires sur les monuments historiques tombe, en mars 2007, nombreux sont ceux à dénoncer le retour des marchands du temple. Dix ans plus tard, force est de constater que le marché a bien résisté. On pourrait même dire que les voyants sont tous au vert, tant l’Etat recherche aujourd’hui de solutions pour financer les travaux nécessaires à la rénovation de son patrimoine. Chargé par le Président de la République d’une mission d’identification du patrimoine en péril, Stéphane Bern vient de proposer de faire payer aux touristes l’entrée des églises pour pouvoir les rénover… Finalement, ces bâches XXL, dont les revenus publicitaires contribuent largement au budget des travaux, ce n’était pas une si mauvaise idée non ?
Joyau du style architectural néoclassique, l’église de La Madeleine, à Paris, fait l’objet d’un important programme de rénovation depuis plus de deux ans. Pour financer les travaux, et plus généralement, de tous ceux des lieux de culte parisiens, la municipalité de Paris s’est dotée, pour la période 2015-2020, d’un « Plan Églises » de 80 millions d’euros. Sur ces 80 millions, 11 proviennent de l’Etat, et 19, soit presque 25 % des fonds, du mécénat privé, dont l’affichage publicitaire fait partie.
DES PRESTATAIRES, UN MAÎTRE D’ŒUVRE
L’affichage monumental qui recouvre actuellement l’échafaudage de l’église de la Madeleine est un projet emblématique du savoir-faire de la société Art Boulevard (92), spécialisée dans l’habillage de chantier. « On se définit comme assemblier, un métier dérivé de l’architecture. Notre job, c’est de créer un emplacement publicitaire. C’est presque un travail de scénographie, explique Grégoire Lecoq Vallon, directeur général d’Art Boulevard. On s’occupe de la partie administrative et de la facette technique ». Régie et maître d’œuvre à la fois, Art Boulevard agrège des compétences pour mener à bien ses projets. Sur l’imposant appel d’offres de la Madeleine, l’entreprise de Boulogne-Billancourt s’est associée à ses confrères Lioté (92) et Luminance (80) pour supporter les montants engagés.
Sur ce projet, la publicité ne représente que 40 % de la surface de la bâche imprimée, les 60 % restants étant dédiés au décor, soit la reproduction des parties de l’église escamotées par l’échafaudage. « Le travail de décor a été réalisé très en amont avec Catherine Feff, une artiste peintre française, pionnière dans la réalisation de bâches publicitaires monumentales pour l’habillage de chantier, ainsi qu’avec le concours de la mairie et du diocèse de Paris, précise Grégoire Lecoq Vallon. La partie publicitaire, elle, change tous les mois ».
L’impression de la bâche a été confiée à la société BS2i, spécialiste de l’impression numérique basé à Honfleur (14). « Au départ, nous avions envisagé une bâche grille, mais les aspérités captent la pollution et ce type de bâche permet trop de transparence. Nous avons donc opté pour une bâche pleine imprimée en numérique jet d’encre UV, car cette technologie conjugue rapidité d’impression, un très bon rendu et une bonne tenue des couleurs dans le temps », décrypte le directeur général d’Art Boulevard. Une fois le travail d’impression réalisé, des œillets et des bandes de tirage sont intégrés en périphérie, puis posés sur des cadres métalliques qui viennent reposer sur l’échafaudage. Tout le travail de montage et d’éclairage a été confié à la société NéoSign (75).
Bâtiment emblématique, l’église de la Madeleine n’a pas de mal à attirer les annonceurs, séduits par la qualité de l’emplacement. « La pertinence d’un emplacement se mesure au prestige de l’édifice, évalué en fonction de son rayonnement, international ou local, mais aussi et surtout au nombre de passage piétons et véhicules par jour. Nous menons d’ailleurs des études approfondies sur la quantité et la qualité du public qui passe devant les emplacements, pour déterminer le coût de l’affichage publicitaire », explique Grégoire Lecoq Vallon. Plutôt rares en France, ces emplacements stratégiques sont plus nombreux à Paris, ce qui explique que, dans la capitale, la publicité doive représenter moins de 50 % de la surface totale imprimée, quand la loi permet pourtant d’aller jusqu’à la moitié. « Les exigences sont différentes en fonction des Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC), qui sont les autorités compétentes en la matière, poursuit le dirigeant. Mais le marché de l’affichage monumental ne concerne que des emplacements exceptionnels, donc on ne peut pas considérer qu’il s’agisse d’une déferlante ».
LE MARCHÉ DU « PATRIMONIAL »
Sans parler de déferlante, les imprimés très grand format ont trouvé leur place sur les bâtiments classés depuis l’adoption du décret. On peut même dire qu’il existe aujourd’hui un vrai marché de l’affichage monumental, avec ses spécialistes et ses sous-traitants. À Paris, de grandes régies disputent les emplacements à des entreprises comme Art Boulevard ou l’Atelier Athem qui, comme son confrère, se définit comme un atelier de « création scénographique » avec sa propre régie patrimoniale.
En province, des entreprises issues de l’impression numérique grand format ont développé cette expertise ou s’en sont fait une spécialité. Depuis son siège de l’arrière-pays niçois, Exhibit Group rayonne sur les métropoles de la région PACA, Nice et Marseille en tête (et parfois même jusqu’à Paris). Totalement intégré, le groupe accompagne ses clients de l’élaboration de leur cahier des charges jusqu’à l’impression et à la pose du dispositif. Plus au nord, à Lyon, le groupe Light Air, spécialiste de l’impression grand format, a récemment uni ses forces à la société PMXL, promoteur d’affichage grand format, afin de proposer une solution globale, de la gestion de l’emplacement à l’impression et la pose, en passant par la commercialisation de l’espace publicitaire. Installée près de Lyon, la société Prismaflex International, cotée en Bourse depuis 2014, dispose aussi d’une division dédiée au très grand format, capable d’imprimer des bâches PVC publicitaires ou des toiles événementielles monumentales.
DES TECHNOLOGIES AU SERVICE D’UNE PLUS GRANDE CRÉATIVITÉ
À Paris comme en province, les imprimeurs grand format se sont livrés ces dernières années à une certaine « course à l’armement » technologique. Désormais tous équipés des dernières technologies en matière d’impression, les professionnels du print arrivent à conjuguer rapidité de production, qualité des rendus et compétitivité économique. « On a dépassé le stade du coût sur le très grand format. On peut désormais tout faire si l’on s’adresse à un client motivé : des jeux de matières, de relief, d’éclairage, de supports », reconnaît Grégoire Lecoq Vallon, dont l’entreprise met actuellement au point un dispositif de végétalisation de ses imprimés très grand format. Les marques l’ont compris et, accompagnées par leurs prestataires, commencent à vraiment s’amuser avec les dispositifs monumentaux et leurs contraintes. Car si la loi impose, sur les monuments historiques, de respecter un équilibre entre publicité et décor, rien ne dit que les deux ne peuvent pas se marier intelligemment. L’Atelier Athem l’a mis en évidence avec sa toile monumentale pour la marque de luxe Blancpain , sur l’édifice de l’Automobile Club de France, place de la Concorde à Paris.
« Le plus important dans ce projet, ce n’est pas tant la taille de la toile qui est imprimée que son contenu. Chez Athem, nous sommes avant tout comme des producteurs de contenu, avec une volonté de faire de la R&D aussi dans le domaine créatif. La campagne de Blancpain est un bel exemple de l’audace qu’une marque peut avoir. Avec un visuel unique réalisé spécialement pour ce projet. Et cela fonctionne parfaitement. C’est beaucoup plus fort que la reprise d’une publicité existante, qui n’a pas forcément été conçue pour ce type de décor », commente le président d’Athem, Philippe Ligot.
L’Atelier Athem (75) a réalisé cette toile monumentale installée sur le bâtiment classé de l’Automobile Club de France, place de la Concorde à Paris. L’affichage publicitaire, ici occupé par la marque d’horlogerie Blancpain (groupe Swatch), joue parfaitement avec l’architecture de l’édifice.
Chez Athem, l’importance du traitement du décor dans son environnement est un élément majeur. Imprimer la toile en trompe-l’œil n’est qu’une étape du processus, sa mise en volume est tout aussi importante. Pour l’Automobile Club de France, l’Atelier a fait réaliser une reprise de toutes les corniches et de tous balcons du bâtiment, en polystyrène résiné. Des répliques des lampadaires existants ont également été réalisées avec intégration du système d’éclairage du chantier.
LES MARQUES VALORISENT LEUR PATRIMOINE
Mais au-delà des monuments historiques, l’affichage très grand format concerne également les propres bâtiments des marques et enseignes. Certains groupes disposent d’un patrimoine conséquent et prestigieux, qui nécessite parfois des travaux de rénovation. Des espaces sur lesquels ces entreprises n’hésitent pas à valoriser leur image et leurs créations, au travers de publicités aux dimensions impressionnantes ou de mises en scène audacieuses.
Lors des travaux pour l’ouverture de sa boutique avenue Montaigne, Louis Vuitton souhaitait trouver une solution événementielle. La direction artistique de la marque est arrivée chez Athem avec comme idée de départ la métaphore du rideau de théâtre, pour annoncer le nouveau lieu. La solution technique proposée par l’Atelier a été de créer un rideau en polystyrène résiné sculpté à la main, dans lequel était intégré des vitrines pour présenter quelques produits en attendant l’ouverture.
Pour sa nouvelle boutique sur les Champs-Élysées, Tiffany a également frappé fort. L’idée au départ était à la fois de respecter le lieu, une des plus belles avenues du monde, mais aussi le bâtiment de pur style haussmannien, tout en intégrant les codes de la marque encore peu connus en France par rapport aux États-Unis. Réalisé par l’Atelier Athem, le projet s’est alors orienté vers la mise en scène d’une des pièces iconiques de la griffe américaine, son bracelet. Entre toiles imprimées en trompe-l’œil et création d’éléments en volume pour les fenêtres et balcons, le résultat est bluffant.
Si les marques de luxe représentent aujourd’hui une importante proportion au sein des annonceurs, d’autres grandes entreprises comme les promoteurs immobiliers, les géants de la téléphonie ou encore les grandes compagnies d’assurances comptent également parmi les grands acteurs de ces projets.
« Nous travaillons avec de grandes marques du luxe mais également avec de grandes entreprises comme EDF ou la compagnie d’assurances Generali, pour laquelle nous avons réalisé une étude d’impact de l’affichage publicitaire sur leurs bâtiments. Sur des propriétaires fonciers de ce type, il y a assez de travaux en cours pour valoriser le patrimoine », confirme ainsi le directeur général d’Art Boulevard. Habillages et palissades de chantier, bâches sur échafaudages, architectures éphémères et évènementielles, création de volumes, éclairage et effets lumineux, etc. les solutions ne manquent pas. Chantiers et publicités n’ont donc pas fini de faire bon ménage.
Florent Zucca et Cécile Jarry
Portfolio : des clients aux profils très différents
Photos Chanel, Lancel, EDF © Art Boulevard.
Les marques du luxe, comme Lancel ou Chanel, qui possèdent des bâtiments prestigieux, et les grandes entreprises, comme EDF, qui disposent d’un patrimoine conséquent, n’hésitent pas à valoriser leur image au travers de créations aux dimensions monumentales pendant leurs travaux de rénovation. Habillages et palissades de chantier, bâches sur échafaudages, architectures éphémères et évènementielles, création de volumes, éclairage et effets lumineux… la société Art Boulevard (92) s’est fait une spécialité de ces affichages très grand format.
Photo © Athem
En faisant l’acquisition de l’ancienne Pinacothèque située place de la Madeleine à Paris, Hines souhaitait repositionner cet actif sur le marché en supprimant l’image du musée et en revalorisant son linéaire de façade. Pour conserver néanmoins la vue sur l’église, la marque a opté pour une scénographie sous la forme d’un moucharabieh qui permettait de profiter de la vue depuis l’intérieur. Des ouvertures au niveau des fenêtres ont également été créées à cette fin. Cette communication ayant pour objectif de faciliter la commercialisation du site, il était essentiel qu’elle soit visible, de jour comme de nuit. Un rétroéclairage a donc été installé sur le 28 Madeleine et sur le nom du propriétaire.
Crédit photo ci-dessus : © Athem
Noyé au milieu des autres immeubles de La Défense, le « Canopy » et son programme immobilier qui tournait autour d’un grand atrium et d’une végétalisation des espaces communs, et près de 45 000 m2 de bureaux à louer, passait inaperçu. Pour son nouveau propriétaire, il y avait donc urgence à être vu. Un défi que l’Atelier Athem a relevé en proposant une personnalisation de la façade, de jour comme de nuit. Le jour, on pouvait découvrir l’intérieur du projet et son ambition végétale, grâce à la pose d’un adhésif microperforé imprimé. La nuit, du néonflex venait mettre en lumière le bâtiment, le rendant ainsi visible de tous. Résultat : aujourd’hui, tout le monde connaît le « Canopy » !
QUE DIT LA LOI ?
Tous édifices
Les bâches de chantier peuvent, sous certaines conditions, être utilisées comme espaces publicitaires. Installées sur des échafaudages nécessaires à la réalisation de travaux, les bâches publicitaires ne sont autorisées que dans les agglomérations de plus de 10 000 habitants. L’affichage publicitaire, temporaire, doit cesser avec la fin d’utilisation des échafaudages et des travaux. Pour leur installation, il est nécessaire d’obtenir une autorisation de la mairie concernée.
Une bâche publicitaire de chantier doit respecter les conditions suivantes : ne pas être visible d’une autoroute, d’une bretelle de raccordement à une autoroute, d’une route express, d’une déviation ou d’une voie publique situées hors agglomération ; ne pas dépasser en saillie l’échafaudage de plus de 50 cm ; être située à plus de 50 cm du niveau du sol ; ne pas être placée sur une toiture ou une terrasse ; être placée à plus de 10 m de la baie d’une habitation voisine ; comporter une publicité qui ne dépasse pas 50 % de la surface totale de la bâche, sauf si les travaux doivent permettre à l’immeuble d’obtenir le label Haute performance énergétique rénovation, dit BBC rénovation, auquel cas le maire peut autoriser un affichage publicitaire d’une superficie supérieure.
Monuments historiques
L’autorisation d’installer une bâche publicitaire posée sur les échafaudages des travaux de restauration des façades d’un monument historique doit être obtenue auprès de la Direction régionale des affaires culturelles (Drac), dans le cadre de l’instruction des demandes d’autorisation ou d’accord de travaux sur les immeubles classés ou inscrits au titre des monuments historiques. La demande doit être faire par le maître d’ouvrage, après accord du propriétaire.
L’autorisation est accordée sous les conditions suivantes : la totalité des recettes perçues par le propriétaire du monument pour cet affichage doit être affectée par le maître d’ouvrage au financement des travaux de restauration ; la surface de l’affichage publicitaire doit être inférieure à 50 % de la surface totale de la bâche ; la durée d’affichage ne doit pas dépasser celle de l’utilisation des échafaudages couverts par la bâche ; l’affichage publicitaire doit être positionné sur la bâche d’échafaudage elle-même, et non par sur le monument pour éviter sa dégradation.