Lichen, passeur de savoirs durables
Sa parole est rare et pourtant précieuse. En déconstruisant plusieurs de nos savoirs et de nos idées reçues sur le sujet de l’impression durable, Camille Poulain, fondatrice de l’agence LICHEN, spécialisée dans la création éditoriale éco-conçue, fait bouger les lignes. Son dernier combat, pour la nouvelle revue LES PASSEURS, en est un exemple parfait.
« À chaque fois que j’entends quelqu’un énoncer fièrement “Imprimé sur un papier issu de forêts gérées durablement”, je me dis, oui et alors ? C’est juste la base, non ? Évidemment c’est important, indispensable, incontournable. Mais justement, cela devrait être un non-sujet. Aujourd’hui, ça ne devrait pas être à ceux qui utilisent du papier qui n’est pas issu de déforestation sauvage d’être fiers, mais aux quelques-uns qui n’en utilisent pas d’avoir honte ! ». Camille Poulain est une personne discrète, mais qui ne mâche pas ses mots. Avec la directrice de création Marine Pacoret, elle a créé Lichen, une agence de création éditoriale éco-conçue, dont l’une des activités favorites est de passer au crible la fabrication d’imprimés existants pour la rendre plus responsable. Plus largement, Lichen accompagne les PME, associations et petits éditeurs de livres et de presse engagés, dans leurs projets de communication durables. Parmi eux, le tout nouveau magazine Les Passeurs qui, pour son deuxième numéro, souhaitait « faire mieux » que pour son premier opus en termes d’impression, comprendre « imprimer plus durablement ».
FAIRE UN MAGAZINE RAISONNÉ… VASTE PROGRAMME
« Les Passeurs, c’est un magazine de prospective sur les futurs possibles de la montagne. Un exercice passionnant de projection. Des articles sérieux, instructifs, bourrés d’infos, avec un ton qui rend le tout facile à lire et à comprendre. Bref, à lire absolument quand on est amoureux de la montagne ! Le numéro 1 est paru début 2021 et le numéro 2 vient de sortir. Depuis le début de l’aventure, l’équipe voulait que le contenant soit raccord avec les idées prônées dans le contenu. Elle a donc cherché quelles étaient les bonnes pratiques à mettre à œuvre pour imprimer le magazine », résume Camille Poulain.
« Et ce fut loin d’être aussi simple que nous avions pu l’imaginer, indique, de son côté, Anne Gallienne, co-fondatrice des Passeurs. Nous baignions dans un flou artistique complet et on s’est très vite rendu compte que pour faire de l’impression responsable aujourd’hui, il ne suffisait pas de prendre un papier recyclé et de choisir un imprimeur local ! Pour un jeune magazine comme le nôtre, faire face à des process industriels bien en place a été très compliqué, mais nous avons beaucoup appris… et nous continuons à apprendre ».
LE PAPIER RECYCLÉ ? PAS FORCÉMENT L’IDÉAL
Pour le premier numéro, Les Passeurs, dans leur envie de bien faire, avaient choisi d’imprimer le magazine sur un papier recyclé – le Cyclus – auparavant fabriqué en France par Arjowiggins, mais qui, depuis la fermeture de l’usine et la reprise de la référence par Antalis, l’est désormais en Allemagne et en Autriche. « Ce qui est problématique, car il s’agit de deux pays à la production d’énergie très carbonée, impliquant des émissions de CO2 importantes lors de la fabrication. De plus, le papier recyclé a déjà souvent à son actif un bilan carbone peu glorieux, car les papiers à recycler traversent l’Europe de part en part pour être livrés sur leur lieu de recyclage, pour ensuite en revenir, analyse Camille Poulain. Par ailleurs, le Cyclus est un papier qui boit énormément, il a donc besoin d’un fort taux d’encrage. Or, pour imprimer le magazine, l’imprimeur avait opté pour une impression en noir, avec deux Pantone, dont un fluo. Les Pantone ne sont pas des encres écologiques. Ils sont composés sur une base d’huile minérale, avec des pigments très chimiques ».
Autre point d’amélioration : le choix de la technique d’impression. En l’occurrence, de l’offset HUV. « Cette technique, prisée par les imprimeurs, intègre un séchage instantané des encres après impression, au moyen de lampes LED, l’objectif étant d’optimiser la production en gagnant du temps sur le séchage. Le problème, c’est que les encres UV sont polymérisées en séchant et forment ainsi une couche solide sur le papier, ce qui rend les imprimés très difficiles à désencrer et donc à recycler, si ce n’est pour faire du papier-toilette », décrypte Camille Poulain.
« Durant l’élaboration de notre premier numéro, notre directeur artistique s’est rendu compte qu’à son niveau, il avait aussi un rôle important à jouer, au niveau de la maquette ou des formats utilisés »
— Anne Gallienne, co-fondatrice du magazine Les Passeurs
UN ENJEU AUSSI POUR LA DIRECTION ARTISTIQUE
« Durant l’élaboration de notre premier numéro, notre directeur artistique, Christophe Peter du studio Wanaka, s’est rendu compte qu’à son niveau, il avait aussi un rôle important à jouer. Que ce soit au niveau de la maquette des articles, en évitant par exemple les aplats qui nécessitent l’utilisation de beaucoup d’encre, ou celui des formats utilisés, afin d’éviter par exemple d’avoir trop de chutes de papier, révèle Anne Gallienne. Pour le second numéro, Camille nous a aussi préconisé de passer en simple bichromie, avec un noir et un Pantone, ce qui a été un nouveau challenge pour Christophe ».
« On peut, bien sûr, se demander pourquoi avoir fait le choix de garder un Pantone plutôt que de le supprimer totalement. Tout est question de balance, de choix et d’équilibre. Rendre un imprimé plus responsable ne signifie pas d’oublier l’âme originelle du projet. Ni, non plus, de chercher à être parfait, ce qui est impossible. En matière d’encre, comme pour beaucoup de choses, c’est surtout l’accumulation qui est nuisible : quadri plus Pantone. Dans le cas d’une bichromie, la quantité d’encre utilisée sera inférieure », argumente Camille Poulain.
Évidemment, l’encre noire préconisée par l’experte fut une encre à base d’huile végétale, certifiée par les très reconnus et exigeants labels Blue Angel et Nordic Ecolabel, mais également Cradle to Cradle. En accord avec le studio Wanaka, il a également été décidé de fixer le noir à 90 % au lieu de 100 %, ce qui a représenté une baisse de consommation non négligeable. Une consommation d’encre bien inférieure, des économies d’eau – car moins d’encres, c’est moins de lavage pour la machine – et moins de plaques offset en aluminium… restait le choix du papier.
« Éco-concevoir un imprimé, c’est un travail d’équilibriste, une balance constante entre l’écoresponsabilité, le budget et les contraintes inhérentes à chaque projet »
— Camille Poulain, co-fondatrice de Lichen
UN TRAVAIL D’ÉQUILIBRISTE
« Pour l’intérieur, nous avons choisi un Munken Print White 1.8. Ce papier conserve l’aspect brut, un peu vintage, donné par le Cyclus au premier numéro, mais sans ses inconvénients. Il possède en effet une main importante, qui permet de réduire fortement le grammage, tout en conservant une belle épaisseur. Nous avons opté pour un 90 g. C’est également un papier qui offre un excellent rendu des couleurs et ne nécessite pas de vernis », détaille Camille Poulain. Cerise sur le gâteau, il a permis au magazine de gagner 107 g sur la balance et de basculer sous la fameuse barre des 500 g. Soit une belle économie d’émissions et de frais postaux !
Pour la couverture, le choix s’est porté sur un Arctic Volume White 300 g, très beau papier bouffant, couché, mais au rendu extrêmement mat. « Si nous avons sélectionné ces papiers, c’est également, et en grande partie, pour leur labellisation Cradle to Cradle. Il s’agit d’une certification et surtout d’une philosophie d’écoconception et d’économie circulaire que nous affectionnons particulièrement chez Lichen. Son principe est de faire du bien plutôt que faire moins mal », confie Camille Poulain. « L’impression du deuxième numéro a été confiée à un imprimeur implanté en Rhône-Alpes, le magazine étant lui-même largement savoyard. Le choix s’est porté sur l’imprimerie Chirat, qui imprime uniquement sur des presses Heidelberg en offset traditionnel, donc sans polymères », précise Anne Gallienne.
« Éco-concevoir un imprimé, c’est un travail d’équilibriste, une balance constante entre l’écoresponsabilité, le budget et les contraintes inhérentes à chaque projet. Une réflexion non seulement sur l’objet imprimé, mais également sur le fait qu’il aura une fin de vie, pas forcément heureuse. Il est important que son impact reste le plus léger possible… même à ce moment-là », conclut Camille Poulain.