À l’heure où le monde de l’imprimerie s’oriente vers l’industrialisation et le tout numérique, Laville Imprimerie réinvestit dans les techniques anciennes pour des esthétiques résolument contemporaines. Impression typographique en ton direct ou Pantone, gaufrage, foulage, letterpress, dorure à chaud, etc. Grâce à sa filiale, Laville Braille, spécialisée dans le braille et l’impression relief, l’entreprise de 12 salariés est passée maître dans l’art de concevoir des images tactilo-visuelles pour favoriser l’inclusivité dans les musées. Un savoir-faire unique qui fera bientôt passer l’imprimeur haut-de-gamme au statut d’Entreprise du Patrimoine Vivant.
Une révolution tactile. La transcription braille n’est pas qu’une simple conversion de texte : c’est une passerelle vers un monde d’informations et de connaissances pour les personnes malvoyantes. Leader sur ce marché, Laville Braille, filiale de Laville Imprimerie, se dédie à cette mission d’accessibilité avec passion et expertise depuis des années.
Créée dans les années 1960, l’imprimerie installée Porte d’Aubervilliers, au nord de Paris, était au départ spécialisée dans le thermorelief : un effet gravure sur de belles impressions offset de cartes de visite, cartes de vœux ou cartes de correspondance, bien connu des imprimeurs pour sublimer les tons Pantone, les beaux caractères d’imprimerie et les papiers de création.
Au tournant des années 2000, les technologies d’impression et de finition progressant, l’activité de l’imprimerie ralentit. Elle perd un de ses plus gros clients et doit se réinventer. Avec six mois de trésorerie devant elle, elle cherche la bonne idée. Celle-ci viendra suite à la lecture d’un article publié dans le journal Le Monde intitulé Pour les enfants aveugles et voyants, des albums jouent sur le plaisir des sens. Il y est question d’ouvrages de la collection Des yeux au bout des doigts en plastique thermoformé publiés par Claude Four et des albums en relief du Chardon bleu. On y parle aussi du travail d’Hoëlle Corvest, chargée de projet accessibilité public handicapé visuel à la Cité des Sciences, qui réalise des ouvrages documentaires à voir… et à toucher. Ont notamment été édités trois livres de vulgarisation bigraphiques (en gros caractères noirs et en braille, ndlr), enrichis d’illustrations en relief coloré.
Gaufrage d’images
Laville décide de mettre à profit son expertise en impression relief pour déployer une nouvelle offre et répondre à cette demande. « C’est ainsi que Laville Braille a développé son savoir-faire en se spécialisant dans ce que l’on appelle aujourd’hui l’impression tactilo-visuelle. Au braille est venu s’ajouter le gaufrage d’images qui ouvre la voie à une compréhension plus profonde du monde et de notre environnement visuel », explique Baptiste Dupont-Grillet, l’actuel dirigeant de l’imprimerie.
De grands musées, tels que Le Louvre ou le musée d’Orsay, vont prêter une oreille attentive à cette nouvelle orientation de l’imprimerie. « Avant, les cartels des musées étaient gravés dans du métal ou du plastique et étaient donc absolument hermétiques aux voyants qui ne pouvaient pas accompagner les aveugles dans leur lecture et leur découverte des œuvres. Aujourd’hui, l’idée est plutôt de faire de ces cartels des outils de médiation avec des impressions tactilo-visuelles conçues pour faciliter les échanges », explique Baptiste Dupont-Grillet.
Sémiologies tactiles
Petit à petit, expérimentation après expérimentation, Laville Braille développe des documents de tous types dans le but d’améliorer l’accès à la connaissance des personnes aveugles et malvoyantes. « Pour transmettre l’essence même d’une image, il est impératif de distinguer l’essentiel de l’information graphique. Il faut éviter de créer des rendus trop simplistes ou inversement trop complexes. L’idée n’est évidemment pas d’essayer de créer une émotion visuelle mais d’accompagner les personnes là où cela a du sens. D’entrer dans un tableau par un angle, de suivre la lumière, etc. L’inclusion ne signifie pas qu’il faille avoir la même représentation », précise le responsable.
Pour relever le défi, l’imprimeur apprend à travailler ses niveaux de relief et de gaufrage. Sa maîtrise des outils traditionnels de finition mais aussi du graphisme spécialisé, lui permet de développer un art savant de la sémiologie tactile.
« La multiplication des images tactiles ouvre la voie à une autre forme de compréhension, pas uniquement textuelle ou verbale, d’une quantité de sujets que les mots ne suffisent pas à décrire. La superposition des écritures et des éléments graphiques permet un meilleur dialogue entre voyants et non-voyants, chacun comprenant mieux les représentations de l’autre par un échange plus attentif grâce à cette page commune qu’il faut explorer ensemble », explique Baptiste Dupont-Grillet.
L’utilisation astucieuse de techniques inusitées pour proposer des solutions à la fois plus efficaces et moins chers permet aussi d’améliorer l’efficacité des supports proposés. « Le monde culturel s’empare aujourd’hui de ces sujets mais il n’existe pas à proprement parler de marché pour ce type de réalisations car les coûts restent importants. Les fonds viennent essentiellement de subventions et de mécénats », précise Baptiste Dupont-Grillet.
Impression réalisée pour l’Institut pour la photographie de Lille. Ici, une œuvre de Bettina Rheims, issue de la série Modern Lovers. Cette planche tactile a été imprimée en haut-relief sur du Dibond.
Travail de composition
Le développement de ce savoir-faire unique a néanmoins permis à l’imprimeur d’apprendre à composer avec toutes les techniques d’impression et de finition, qu’elles soient traditionnelles ou de pointe. Dans l’atelier, une Heidelberg antique côtoie un traceur flambant neuf. « Chez Laville, on ne vend jamais une machine. On apprend à s’en servir autrement », commente Baptiste Dupont-Grillet.
À l’heure où la profession s’industrialise et automatise ses process en misant sur le tout numérique, l’imprimeur a choisi d’emprunter un autre chemin. Un choix vertueux qui ouvre aujourd’hui Laville Imprimerie les portes des maisons de luxe et de leurs agences. Cette créativité et ce savoir-faire ont également retenu l’attention d’Imprim’Luxe, le label d’excellence des industries graphiques. « Notre compétence aujourd’hui réside dans notre capacité à appliquer la bonne technique là où elle est pertinente » résume Baptiste Dupont-Grillet. Sur son bureau, une magnifique carte de vœux immaculée réalisée pour le groupe Michelin attire notre regard. Elle est en relief et a nécessité plusieurs semaines de développement. On ne résiste pas à la toucher. « Un gaufrage ton sur ton », indique Baptiste Dupont-Grillet. Magnifique !
Photos : © Laville Imprimerie