Décoration personnalisée : sortir des clichés
Vent dans le dos, le marché de la décoration personnalisée a conservé tout son dynamisme durant la pandémie. Changer son papier peint a été une grande tendance pendant les confinements, avec des ventes en forte croissance.
Il faut admettre que technologiquement parlant, tous les voyants sont au vert. Développement des petites séries, diversité des supports imprimables, effets de texture, jeux de matière, rapidité de production : en passant de l’analogique au numérique, le monde de l’impression s’est affranchi de nombreuses contraintes et a ouvert la voie au boom de la décoration.
Aujourd’hui, tout (ou presque) est désormais réalisable. Reste une dernière étape à franchir : celle du fichier. Car c’est là que se niche désormais toute la valeur ajoutée d’un projet.
Photo de Une : ©Neodko
Un taxi jaune newyorkais, une jungle luxuriante, une vieille femme cubaine fumant son cigare… Ces images ont fait le tour du monde pour s’imposer dans les esprits comme les symboles d’une tendance forte de ces dernières années : celle de la « décoration personnalisée ». Alors que tout un chacun cherchait à être différent, original, unique, c’est l’inverse qui s’est produit. À force de puiser son inspiration aux mêmes sources et dans les mêmes banques d’images, tout a fini par se ressembler, trahissant ainsi la promesse initiale qui était de créer des univers singuliers.
« Dans le cadre d’un projet de décoration personnalisée, toute la valeur va résider dans le travail du fichier »
Frédéric TISSEYRE, chef de projet en personnalisation décorative
« Le secteur est en pleine transition. Dans les années 2010, architectes et designers découvraient les atouts de l’impression numérique qui allaient (enfin) leur permettre de traduire leurs idées en réalités concrètes sur le terrain. Ils ont fait des expérimentations. Aujourd’hui que nous avons les bons supports d’impression, les bonnes machines et les bonnes encres, il est temps d’aller plus loin, le rebond doit venir du fichier. Créer le dialogue entre création et technique est l’enjeu majeur que doivent désormais relever tous ceux qui veulent s’imposer sur ce marché dont le potentiel reste encore sous-exploité », analyse Frédéric Tisseyre, chef de projet en personnalisation décorative.
« Le réflexe de la profession qui était au départ un réflexe de communication doit aujourd’hui privilégier une approche plus décorative. Autrement dit, proposer des projets plus subtils, sans perdre de vue pour autant l’enjeu initial. La décoration d’une entreprise, ce n’est pas seulement appliquer un logo avec une photo. On peut aller beaucoup plus loin », poursuit l’expert.
Interviewé dans nos colonnes sur le sujet de la personnalisation, le designer Olivier Saguez faisait, à juste titre, cette remarque : « Que tout se ressemble, tout le temps, partout, finit par être assommant. Économiquement parlant, la personnalisation est une bonne martingale, mais en termes de créativité, le compte n’y est pas. Pour créer, il faut avant tout avoir de la sensibilité… C’est cette sensibilité-là qui est la clé. Les consommateurs l’ont d’ailleurs bien compris quand ils plébiscitent Airbnb plutôt que des chaînes d’hôtels uniformisées ».
UN SERVICE PERSONNALISÉ
Le fait est qu’un changement de paradigme industriel est en train de s’opérer dans le secteur. Avant, le client qui achetait du papier peint, achetait un rouleau avec la création et l’impression. Aujourd’hui, ce n’est plus forcément le cas. Du fait de l’évolution du marché, ces deux budgets peuvent se retrouver séparés, ce qui est une chance énorme car cela permet de faire du sur-mesure et de la vraie personnalisation, mais représente aussi un défi important à relever pour les professionnels qui doivent expliquer à leurs clients qu’il y aura une ligne de plus sur le devis.
« Ajouter une ligne sur un devis n’est jamais simple. Dans le cadre d’un projet de décoration personnalisée, c’est pourtant essentiel car toute la valeur d’un projet va résider dans ce travail du fichier. Cela va du choix du décor que l’on va imprimer, voire de sa création, au traitement du fichier en lui-même avec souvent de l’étalonnage couleur ou une remise en état. Ce savoir-faire doit être valorisé par les imprimeurs car il est clé. La personnalisation, ce n’est pas open bar ! », martèle Frédéric Tisseyre.
TOUT RESTE À CRÉER
« Pour nos projets de décoration, nous fournissons systématiquement un BAT physique à nos clients et nous nous déplaçons sur les chantiers avec nos palettes de colorimétrie afin de voir si le papier peint qui a été imprimé fonctionne avec le reste du décor. Le rendu sera différent selon que le client ait choisi une moquette bleue ou une moquette rouge », confie Pascale Tessier-Morin, directrice d’Atelier Images&Cie. Niché au cœur du quartier des Puces de Saint-Ouen, cette spécialiste de l’impression numérique grand format et de la communication événementielle a mis à profit son année 2020 pour concrétiser le développement de son offre de décoration murale. Une diversification stratégique, appuyée par plusieurs investissements et la construction de partenariats avec le monde de la création.
« Comme il existe des imprimeurs spécialisés dans l’industrie, nous avons aujourd’hui besoin d’imprimeurs spécialisés dans le revêtement mural personnalisé »
Pascale TESSIER-MORIN, directrice d’Atelier Images&Cie
« Le monde de l’impression est devenu tellement vaste, avec des savoir-faire bien spécifiques. Comme il existe des imprimeurs spécialisés dans l’industrie, nous avons aujourd’hui besoin d’imprimeurs spécialisés dans le revêtement mural personnalisé. C’est un métier qui se définit en ce moment, avec des compétences qui lui sont propres, et des coûts et des niveaux de marge qui doivent être adaptés en fonction du service exigé », poursuit la cheffe d’entreprise.
« Faire du design mural ne revient pas à prendre un motif et à le poser sur un mur », complète Sophie Riccobono, responsable marketing et communication du Groupe Riccobono. Spécialisée dans la scénographie d’espaces, l’Agence du groupe a réalisé l’habillage de l’école Saint-François de Paule de Fréjus. « Les ambitions du projet n’étaient pas seulement décoratives mais se voulaient aussi pédagogiques », se souvient Sophie Riccobono. « Notre designer a donc proposé de diviser l’école en trois zones, chacune correspondant à un climat, avec ses animaux, ses plantes et ses océans. Nous y avons associé des personnages auxquels les enfants ont pu s’identifier et dont la taille avait été pensée en fonction de l’âge des élèves. Dans un projet comme celui de l’école de Fréjus, nous avons eu une démarche de design thinking : le décor ne devait pas perturber les enfants. Nous nous sommes mis à leur place pour placer les animaux à la bonne hauteur et au bon endroit. Bien réfléchir aux usages est aussi un élément clef de notre métier. Il y a une vraie réflexion à avoir autour du projet », analyse la responsable.
LA PART BELLE AUX ARTISTES
Si le recours aux banques d’images a été le premier réflexe des professionnels du secteur pour personnaliser leurs décors, il semblerait que le marché soit en train de tourner la page et puise désormais son inspiration auprès d’artistes, de photographes et de designers.
Par un effet de balancier, les créatifs, de leur côté, se montrent de plus en plus intéressés par ce marché en pleine ébullition, pour lequel ils développent des offres spécifiques, à l’instar de ce qu’a pu faire l’Agence Riccobono avec l’école de Fréjus.
Dans un article publié dans le magazine américain AD Pro, en avril dernier, on découvre que le photographe d’art Gray Malin, connu pour ses multiples collaborations avec de grands hôtels comme le Beverly Hills Hotel, collabore aujourd’hui avec des marques de design d’intérieur pour personnaliser leurs collections. Un travail passionnant, selon lui, qui lui permet de pousser plus loin son art en lui permettant de s’exprimer sur de nouveaux supports, dans de nouveaux formats. Également cité dans l’article, le photographe Robert Malmberg a, quant à lui, développé sa propre collection de papiers peints, à partir de ses archives. Onze motifs ont déjà vu le jour. Sur la page d’accueil de son site, cette phrase Fine art photography for your interiors, suivie du bouton « Shop », résume tout le propos.
Parmi les initiatives intéressantes repérées en France, il y a celle de Jolie Galerie qui décline, depuis un peu plus d’un an maintenant, une offre de « murs illustrés ». Après avoir dirigé une galerie pendant plus de dix ans à Paris et deux ans en Australie, Jeanne Chemla, la fondatrice et directrice de Jolie Galerie, s’est installée en Champagne, en France, d’où elle continue à promouvoir l’art de l’illustration. Elle a récemment étendu sa passion à un nouveau projet : la création de papiers peints illustrés à partir d’œuvres originales et la réalisation de fresques et de peintures murales sur-mesure.
Afin de relever ce beau défi, Jeanne Chemla s’est entourée d’un réseau de partenaires. Pour l’impression, elle s’appuie sur le regard d’expert de Stéphane Brunet, de l’imprimerie Nessprint, installée à Troyes. Elle écoute aussi les conseils avisés en architecture d’intérieur de l’agence Bécile et Trémiste, à Paris. Et peut compter sur le soutien quotidien en web et design de l’agence SparkWeb à Toulouse. « Nous avons besoin de toute cette expertise pour permettre à nos artistes de s’exprimer ailleurs que sur une toile, pour choisir les bons supports et adapter les fichiers aux configurations des lieux à personnaliser. De notre côté, nous venons avec toute la richesse de nos collections. Les artistes sont demandeurs et enthousiastes à l’idée de participer à ce type de projet. Pour eux, l’important est surtout de ne pas faire une simple reproduction d’un de leurs dessins, mais bien de produire une pièce unique, en grand format », confie Jeanne Chemla.
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En France, le nouveau site mur-panoramique.fr propose de créer ses propres fresques murales : un lé unique sans raccord pouvant aller jusqu’à 3,20 mètres de hauteur. Plusieurs collections de visuels sont mises à la disposition des clients, tous signés d’artistes. On découvre ainsi le travail du dessinateur de BD spécialisé dans l’aéronautique Romain Hugault, du photographe naturaliste Dominique Delfino, de la photographe Marie-Pierre Renaud et de la créatrice Valérie Szewczyk. Pas de banque d’images donc mais des collections plus singulières et la possibilité, aussi, de faire une demande personnalisée pour imprimer son propre visuel.
VITE, UN(E) WALL-DESIGNER !
« On parle beaucoup des photographes et des artistes, mais il y a aussi les wall-designers. Il ne faut pas restreindre ce marché à de grands panoramiques. On peut faire aussi du papier peint, autrement dit des choses beaucoup plus douces et plus subtiles, mais qui vont être créer sur-mesure, dans le respect de l’histoire des arts déco. Et là, ce n’est pas un artiste dont on aura besoin, mais d’un wall-designer, autrement dit de quelqu’un qui a travaillé dans le papier-peint et qui sait créer des motifs », poursuit Frédéric Tisseyre.
Fondée en 1936, la société Georges Piolat pratique la gravure au cadre à la lyonnaise pour l’impression de la soie, du textile en général, mais aussi du papier peint. Près de 85 plus tard, elle est toujours là, mais s’est diversifiée. Si l’expertise est restée, l’impression numérique est passée par là, et a poussé Hervé Piolat, petit-fils de Georges, a créé en 2009 une nouvelle entité, Neodko, spécialisée dans la création de papiers peints personnalisés. L’atelier est aujourd’hui partenaire des plus grand(e)s éditeurs, de designers et de marques qui souhaitent développer leur propre gamme de papiers peints. Il offre aussi un service de sur-mesure pour des projets d’architectes ou de décorateurs.
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Lors de notre visite dans l’atelier, nous avons eu la chance d’assister en direct à la création d’un décor unique. Sur la table de la dessinatrice, des images d’archives et des livres d’art. Sur son écran, une première transcription du brief du client, réalisée à partir d’un dessin qu’elle a elle-même effectué à la main. Chez Neodko, on ne parle pas de « wall designer » mais les compétences sont là. « Notre équipe de dessinateurs et de graphistes a, à sa disposition, toutes nos archives de dessins d’ameublement, conservées depuis 1936, pour concevoir des décors subtils qui respectent l’historique et les codes du secteur », confie Hervé Piolat, qui fait aussi appel parfois à des graphistes indépendants pour certains projets spécifiques.
Dans son Atelier Mattera, installé à Peyrus, aux portes du Vercors, Audrey Fonterme est une designer heureuse. Elle vient de créer son entreprise spécialisée dans la création de décors muraux et de signalétique décorative, compétences auxquelles elle a associé sa passion pour la rénovation de meubles et d’accessoires vintage. Après plus de sept ans passés en tant que directrice artistique et designer du pôle Création de l’imprimeur grand format ATC Groupe, la jeune femme a décidé de devenir indépendante, tout en continuant à suivre certains projets avec son ancien employeur, pour le compte de clients qui apprécient son travail et son approche. Les deux partenaires viennent justement de terminer un projet avec un groupe spécialisé l’accompagnement des personnes âgées. « Le client avait cette volonté de mettre en place une décoration ancrée dans une réalité territoriale. Le projet devait raconter des histoires, mais pas n’importe lesquelles. Des histoires locales, qui s’inspiraient de la culture de la région dans laquelle se trouvait les structures concernées », raconte Audrey Fonterme. « L’autre contrainte créative, poursuit la designer, était de proposer des jeux graphiques et une signalétique décorative compréhensibles par la cible, à savoir des personnes âgées qui pouvaient avoir des problèmes de vue notamment ».
« L’idée est d’utiliser les murs pour communiquer, certes, mais aussi pour créer une ambiance agréable, pour avoir un espace où le visiteur, le résident, le consommateur, se sente bien. Le défi aujourd’hui est de concilier les deux attentes », conclut Frédéric Tisseyre.