60 milliards de m2 de tissus jetés chaque année, 1 vêtement confectionné sur 3 jamais porté et brûlé, des faillites à répétition dans l’habillement, etc. Ce n’est plus un scoop : en plus d’être mortifère pour la planète, le modèle de la fast-fashion arrive aujourd’hui en bout de course. De ce constat, est née, en 2019, l’idée de créer l’Atelier Agile, une émanation de l’association Fashion Green Hub, qui rassemble aujourd’hui plus de 500 entreprises de mode engagées pour changer la Mode, dont l’objectif est de produire des produits textiles uniquement à la demande. Ingénieur textile de formation, Agathe Mouvielle-Chenu est sa présidente depuis un an. Elle ne cache pas que le projet, parfait sur le papier, n’est pas simple à faire tourner. Son rôle aujourd’hui : identifier les forces en présence sur le territoire pour consolider l’écosystème.
La production à la demande est la seule bonne réponse aujourd’hui ?
La production à la demande est pour moi une réelle, voir la seule façon de rendre le Made In France compétitif et accessible. C’est tout simplement une innovation industrielle, qu’Atelier Agile rend concrète.
Ceci étant dit, il s’agit d’une transition difficile à mettre en place pour les marques car cela implique des changements de process extrêmement complexes. Heureusement, les marques engagées existent et amorcent le changement. Avec Atelier Agile, nous explorons toutes les opportunités qui permettront de transformer cette filière et de dynamiser nos territoires. De nouveaux business modèles sont à inventer et nous y travaillons, mais nous ne pourrons pas le faire seul. Si on veut réussir notre pari qui est de relocaliser de la production en France, il faut que cela se fasse en meute !
L’outil industriel mis en place au sein de l’Atelier Agile est efficient mais ne se suffit pas à lui seul pour engager une transformation durable de cette industrie ?
Aujourd’hui nous avons effectivement la chance d’avoir un atelier de production à la pointe de la technologie avec des machines d’impression et découpe et des solutions d’automatisation performantes qui nous permettent de proposer des productions à des prix compétitifs. Mais pour envisager un avenir plus durable, nous devons créer un réseau de partenaires, identifier nos forces et celles du territoire pour mutualiser nos savoir-faire et pouvoir répondre à des appels d’offre. Il faut jouer collectif pour pouvoir engager cette transformation et renforcer notre offre de solutions avec à la fois de la production à la demande mais aussi des offres d’up-cycling et des services de réparabilité. L’idée serait d’avoir un maillage complet du territoire à l’échelon national, avec des ateliers dans chaque région.
La production à la demande est la seule façon de rendre le Made In France compétitif.
Agathe Mouvielle-Chenu, présidente d’Atelier Agile
Quelles sont les marques qui peuvent aujourd’hui s’engager ?
Pour avoir travaillé au sein de plusieurs grandes marques, je peux d’ores et déjà vous dire que pour les très grosses structures, le pas à franchir est trop grand. Si elles ne s’engagent sur ce terrain aujourd’hui, ce n’est pas par manque d’envie, mais par manque d’agilité. Leurs process sont beaucoup trop lourds pour pouvoir engager une transformation à court terme. Il faudrait pour cela qu’elles créent un process pour intégrer la gestion de petits volumes dans leur système, ce qui représente des investissements colossaux. On ne parle pas ici d’un tableur Excel mais d’outils de gestion de production extrêmement pointus pour lesquels le développement d’une seule nouvelle case peut coûter jusqu’à 50 000 euros.
Pour les marques industrielles qui produisent leurs propres collections depuis des années, la donne est différente. Une marque comme Petit Bateau par exemple, qui dispose de sa propre usine à Troyes et qui a investi dans une unité d’impression numérique, aura ainsi plus d’agilité.
Pour les TPE-PME enfin, la donne est évidemment radicalement différente car leur business modèle est basé sur la récurrence de petites séries. Les nouvelles marques qui se créent aujourd’hui, et elles sont nombreuses, n’ont aucune ambition de volumétrie. Une solution comme celle développée par Atelier Agile est donc pertinente.
D’après l’ADEME, « si on relocalisait 1 % des volumes, on permettrait la création de 50 000 emplois ». Cela vous semble réaliste ?
Aujourd’hui, 25 personnes travaillent à la production au sein d’Atelier Agile. Pour passer d’une idée à sa concrétisation, il faut compter un mois et demi à deux mois. Pour de la récurrence, on tombe à 15 jours en fonction des plannings de production, avec des stocks constitués en interne pour les petits faiseurs, ce qui réduit d’autant les temps logistiques.
Produire en France est pour moi une obligation citoyenne. Cela permet non seulement de réduire les impacts environnementaux de l’industrie de façon drastique mais aussi de dynamiser les territoires en favorisant la création d’un maillage serré de micro-usines sur l’ensemble du territoire, et donc de créer des emplois. Des métiers qui avaient disparu commencent à réapparaître pour répondre à une nouvelle demande, et cela ne va que s’amplifier.