Dossier spécial IA : les premières pages en avant-première
C’était il y a un peu plus d’un an, le 30 novembre 2022 : OpenAI mettait en ligne son agent conversationnel ChatGPT. Depuis, pas une journée ne s’est écoulée sans que l’on ne parle d’intelligence artificielle. Médecine, physique, mathématiques, industrie, culture… tous les domaines ont été touchés, de près ou de loin, par cette « hallucination » collective.
À San Francisco, les start-ups de l’intelligence artificielle ont fait du quartier d’Hayes Valley, la nouvelle « Cerebral Valley ». En France, la levée de fonds de 385 millions d’euros réalisée par la licorne Mistral AI, désormais valorisée à près de 2 milliards de dollars, montre que la frénésie n’est pas près de s’arrêter.
Dans les industries graphiques, artistes, designers, chercheurs, enseignants, commissaires d’exposition ou communicants, s’entendent à dire que l’IA impacte déjà leurs métiers. Conscients du potentiel de cette nouvelle technologie mais aussi des risques, ils tentent aujourd’hui de trouver leur place dans ce monde en transition.
« L’IA c’est comme un super assistant, qui a deux ans d’âge mental, qui ne distingue pas sa droite, de sa gauche, mais… qui dessine comme un dieu ! »
Cofondateur et directeur de la création de l’agence parisienne Volumique, le designer Étienne Mineur est l’inventeur des Spirogamis, technique de pliage de papier en forme de spirale, mais aussi de nombreux brevets dans le domaine de l’interaction dite tangible (action qui consiste à utiliser des objets pour interagir avec les informations numériques cachées, ndlr). Étienne Mineur enseigne aussi à l’ENSCI – Les Ateliers et à l’école Camondo de Paris.
L’IA nuit-elle aux créatifs ?
Je suis entré aux Arts Décos en 1987, il n’y avait pas d’ordinateur. Quand j’en suis sorti, tout le monde était équipé. L’informatique a facilité les pratiques, donnant l’illusion à certains de pouvoir s’improviser graphistes, faisant craindre à d’autres que leur métier allait disparaître… Pourtant, cet outil a entraîné une explosion de créativité dans le secteur graphique. Ça, c’était il y a 30 ans. Je fais ce parallèle car l’IA, qui permet aujourd’hui de créer rapidement des images satisfaisantes et flatteuses, peut susciter les mêmes craintes et ambitions.
C’est quoi un biais cognitif ?
Une IA est nourrie et entraînée sur un corpus de données. Comme l’IA a aspiré l’intégralité du contenu Internet et qu’elle n’a ni sens commun, ni éthique, ni morale, cette somme de statistiques et d’algorithmes oriente les propositions qu’elle génère. Or, aujourd’hui, les principaux modèles d’IA sont en majorité anglosaxons donc orientés et certains pays sont sous représentés. Il faut donc avoir conscience de ces biais cognitifs, apprendre à jouer avec, et accepter de se battre contre les algorithmes. Ces IA sont programmées pour « halluciner » (terme consacré) et donner une réponse. Le défi pour le créatif est d’être plus intelligent que la machine.
L’IA, gadget ou alliée ?
L’IA c’est comme un super assistant, qui a deux ans d’âge mental, qui ne distingue pas sa droite, de sa gauche, mais… qui dessine comme un dieu ! C’est rigolo et fatiguant. Entre quiproquos, accidents et folie débridée, l’IA propose parfois, dans ce flux incohérent de suggestions, des pistes pertinentes, tels qu’un rapport de couleurs, de formes ou une textures. En tant que maître de nos projets, notre rôle c’est de donner les instructions les plus claires possible pour aider la machine à faire des propositions cohérentes.
Quelles sont les limites de l’IA ?
Il y a seulement un an, le problème de l’IA était la taille des images. Aujourd’hui, MidJourney génère des images jusqu’à 4000 pixels de large, donc niveau résolution, ça devient sérieux. Autre problème : réussir à conserver le prérequis initial et une cohérence des images. Par exemple : si je crée un personnage et que je change sa coupe de cheveux, l’IA va changer le visage ou repartir de zéro. Des outils qui améliorent ce processus existent aujourd’hui, en sélectionnant certaines zones. La technologie s’affine, mais pour le moment, à part entraîner son modèle d’IA sur un corpus d’images cohérent et tenter de déjouer les biais de la technologie, l’utilisation d’une IA c’est un peu le jeu du chat et de la souris.
Source des visuels : Etienne Mineur / Imki / edeis.
Portrait d’un hacktiviste :
GEOFFREY DORNE
Enseignant, auteur, illustrateur, Geoffrey Dorne développe depuis 20 ans son activité de designer indépendant au service de ses engagements.
Geoffrey Dorne a fait ses armes aux Arts Déco de Paris, aux côtés d’enseignants comme Pierre Bernard, co-fondateur du collectif Grapus. En 2012, il crée son atelier Design & Human, convaincu que son métier peut être un outil d’émancipation, de résilience, de liberté et d’indépendance. Depuis, il accompagne régulièrement des projets pour des ONG ou associations dédiées aux réfugiés, aux sans-abris ou aux populations fragilisées. Convaincu de la nécessité d’éduquer le plus grand nombre aux pratiques du numérique, il a cofondé la formation Etape Design à Paris, pour les jeunes en décrochage.
Pour lui, le design peut être une arme pour dénoncer les injustices sociales ou environnementales. Il crée sa maison d’éditions HCKR, où il publie Hacker Citizen, qui réunit des idées pour réinvestir la ville et Hacker protester, livre sur le design des armes citoyennes lors des révolutions contemporaines.
En 2022, il imagine IAFP, où il illustre les dépêches de l’AFP publiée sur Twitter qu’il soumet à Midjourney. Parfois ça crée des accidents ou des surprises mais ce qui lui plaît le plus, c’est l’humour humour, les décalages et l’émotion que ce processus créatif génère. « J’essaie d’adopter une posture où le design est non déterministe et où, à partir d’une thématique donnée, on ne sait pas si à la fin, on va faire un livre, une affiche, un site internet ou un logo. Dans tous les cas, la forme est déterminée par le fond. Ce qui est intéressant c’est d’apprendre à jouer avec la machine et de déjouer sa censure ».
Source des visuels : Geoffrey Dorne.
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