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Anthony Lebossé (Designer associé – 5•5)

« Le fond de notre métier reste le même, mais le pourquoi prend de plus en plus de poids »

Champ d’activité touchant à la conception d’objets comme à l’urbanisme, en passant par l’organisation d’espaces, le design ne se résume pas à un exercice de style. Longtemps associé à une consommation débridée, il retrouve ces dernières années l’engagement social et critique qu’il intégrait à l’origine. La preuve avec Anthony Lebossé, designer associé chez 5•5, un studio collectif de design global basé à Paris, ayant notamment collaboré avec Dacia, l’Office National des Forêts et Tarkett.

Propos recueillis par Bertrand Genevi

La designer française Matali Crasset a déclaré dans une interview pour le Centre Pompidou que le design, « ce n’est pas seulement dessiner une chaise, une table, mais c’est aussi prévoir des environnements, imaginer des scénarios de vie ». Est-ce une définition de votre profession qui vous sied ?

Je partage son point de vue sur le fond. Lors de ma formation, nous avons appréhendé le design comme une fonction au service de l’économie, visant à encourager la vente de produits manufacturés, tout en pensant dans le même temps aux usagers et aux services rendus à la société. Car notre activité est supposée contribuer à l’amélioration du quotidien. Aujourd’hui, cette dimension a pris beaucoup plus de poids, car la question du mode de vie est devenue centrale. Il faut sans cesse se poser la question de la pertinence de faire quelque chose de plus ou de différent, et, in fine, savoir exactement à quoi on contribue. Le fond de notre métier reste le même, mais le pourquoi prend de plus en plus de poids. C’est la raison pour laquelle nous adoptons une posture critique chez 5•5. On s’est même posé la question de savoir si cela avait encore du sens de faire du design aujourd’hui… Dans cette quête de sens, nous résumons notre activité en une phrase-manifeste: « réinventer nos modes de vie en pratiquant un design durable au service des entreprises et des collectivités ».

En parlant de l’évolution des modes de vie, les designers influent de plus en plus les politiques publiques, notamment dans le cadre de l’organisation de l’espace urbain. Comment analysez-vous ce changement ?

Il est vrai que le design intervient désormais plus en amont des projets. Des designers travaillent par exemple sur la conception des cahiers des charges. Il s’agit d’une action impactante, car la formulation d’une question oriente la réponse apportée. De manière générale, les collectivités et les services publics considèrent de plus en plus les usagers, et ils nous interrogent pour affiner leurs projets d’aménagements. Quelques années en arrière, notre rôle se limitait, ou presque, à dessiner une jolie chaise et à l’installer à l’endroit adéquat. L’activité de notre agence a donc évolué au fil du temps, gagnant en diversité et en intérêt. On apprend à travailler différemment, en synergie, avec un réseau d’experts, qu’il s’agisse d’architectes ou de paysagistes. Je crois fermement à la force de l’équipe et à la résolution de problèmes en collectivité. Cela demande généralement d’agir sur un temps plus long, mais on gagne en pertinence. Le même constat se retrouve dans nos relations avec les entreprises. Le design remonte dans les échanges, au niveau de la direction générale.

En 2022, 5•5 a créé la nouvelle identité du réseau de concessions automobiles Dacia. Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet ?

Dacia propose des véhicules allant à l’essentiel, 30 % plus légers que la moyenne du marché et embarquant peu d’éléments électroniques. Nous partageons cette valeur de faire mieux avec moins. Les concessions que nous avons imaginées sont donc écoconçues. 100 000 pneus ont été recyclés pour concevoir différents éléments, qui se composent des matériaux adaptés à leur format et à leur usage. Plus le support se destine à être renouvelé, plus sa nature et sa composition ont été optimisées. Nous avons utilisé des PLV en carton alvéolaire recyclé et recyclable, la peinture murale est biosourcée, les tapis sont upcyclés sur le principe du cradle to cradle*, le revêtement de sol en grès cérame est issu du recyclage et les éléments de quincaillerie ont été réduits à l’essentiel, voire supprimés. Le tout sans impact sur le bâti, dans l’idée d’un aménagement flexible et réversible. Et parce qu’une concession constitue avant tout un lieu de rencontre, les espaces ont été aérées, en intégrant des messages simples et directs. Aucun écran ou enseigne lumineuse ne brouillent l’attention des clients.

Le design englobe trois dimensions principales : les formes, les proportions et les matériaux. La réflexion sur ces derniers prend-elle aujourd’hui le pas sur les autres ?

Avant d’engager des matériaux, il faut se poser la question de leur pertinence. Cet objet installé dans un espace de vente est-il utile dans le parcours des clients ? Tout ce qui nous semble superfétatoire, qu’il s’agisse d’une PLV ou d’un message, doit être supprimé. Il faut aussi travailler à la gomme. Une fois assuré de la pertinence d’une action, on utilise des moyens, mais de manière raisonnée. Il est vital de capitaliser sur l’existant, car dans le design d’espace, de nombreux éléments structurants peuvent être réemployés. Il est par ailleurs nécessaire de réaliser une conception dissociée, en intégrant les notions de réversibilité et de recyclabilité dans nos créations. Quand on a besoin d’engager de nouveaux matériaux, on choisit bien entendu les plus vertueux. Cette recherche n’implique pas seulement le sourcing des matériaux, mais il s’agit aussi de s’intéresser au process de fabrication et au lieu de transformation. Importer un matériau intelligent depuis un pays situé à des milliers de kilomètres n’a pas de sens. Et chaque projet est différent : un paramètre adapté à un contexte particulier peut s’avérer totalement hors de propos dans un autre. C’est là où, en en tant que designers, on doit s’appuyer sur des calculs précis pour mesurer notre impact réel et questionner notre radicalité.

Faites-vous appel à l’intelligence artificielle dans votre processus de création ?

Nous avons testé ces outils par curiosité. ChatGPT, par exemple, ne constitue pas un outil créatif à proprement parler, mais sa capacité de synthèse, de clarification et de traduction de contenus est bluffante. Nous avons soumis ses conclusions auprès de certains clients, mais de manière informelle, afin de leur signifier qu’il est essentiel d’aller plus loin. L’IA ne résout pas la complexité des problématiques posées par nos clients. En revanche, une solution de création graphique comme Midjourney révolutionne certains domaines, comme celui de l’illustration. Chacun peut générer des univers visuels de manière spectaculaire, avec un impact considérable sur les méthodes de travail. Cela permet aussi de gagner un temps précieux dans certaines productions. L’IA rassemble incontestablement des outils intéressants et il est important de suivre son évolution dans notre métier, mais, chez 5•5, nous nous concentrons plutôt sur les moyens et le sens de nos actions.

* Littéralement, cradle to cradle signifie “du berceau au berceau”. Ce nom est né en opposition au fonctionnement de l’économie actuel, basé sur le “cradle to grave”, dont la traduction est “du berceau à la tombe”. Autrement dit, ce nom illustre une logique de créer et recycler à l’infini. La finalité de cette démarche écologique est la production de produits durables, de matière 100% réutilisable et sans pollution.

Source des visuels : Studio 5•5.

Détenteur d’un MBA en Management stratégique (Université Laval, Canada) et d’une Maîtrise de gestion (Paris IX Dauphine), Bertrand Genevi possède dix ans d’expérience dans les médias (L’Express, 20 Minutes) et en agence de communication (Hopscotch).