Quelques années en arrière, les imprimantes 3D étaient promises au firmament. Elles devaient inonder le marché professionnel et équiper les foyers d’une majorité de Français. En 2022, la réalité est plus mesurée, voire décevante aux yeux de certains. Car si l’impression 3D grand format a le vent en poupe pour des applications industrielles, elle ne décolle toujours pas dans le secteur de la communication visuelle. Tentative d’explication.
Des sollicitations en pagaille, partout, tout le temps. Dans une société noyée sous l’infobésité et les images, les marques et les entreprises rencontrent parfois des difficultés à émerger et faire passer leur message. Se démarquer de la masse tient aujourd’hui de la gageure. Et s’ajoute à cela des contraintes réglementaires qui se durcissent, dans l’affichage notamment. C’est dans ce contexte complexe que l’impression 3D grand format peut constituer une option intéressante en vue du déploiement d’actions promotionnelles : sous la forme d’une alternative au tout-venant, en apportant une expérience différente en termes de communication visuelle.
UN IMPACT DÉCUPLÉ
C’est un fait, les campagnes réalisées en 3D attirent l’œil. Elles créent de l’attention auprès du grand public. C’est vrai dans le retail, la signalétique, l’affichage et l’évènementiel. De grandes marques telles que Louis Vuitton, Monoprix, Coca-Cola ou Netflix s’en sont emparées pour exposer des PLV surdimensionnées en magasins, produire des affiches combinant 3D et 2D, ou encore éditer des créations uniques dans le cadre d’un évènement. Si les applications offertes prennent diverses formes, elles concourent au même objectif : enrichir l’expérience client, la rendre plus marquante et mémorable, afin d’accroître l’engagement du consommateur et la notoriété de la marque. Et si le visuel fait mouche, la campagne de communication peut alors prendre une toute autre dimension avec le partage de la création sur Facebook, Twitter ou Instagram.
Philippe Bouvier, dirigeant du distributeur de solutions d’impression Euromedia, insiste sur le changement de paradigme induit par la 3D, notamment dans le retail : « Au lieu d’une communication en 4×3 à large échelle, une marque peut aujourd’hui se limiter à communiquer sur un point de vente ciblé et se servir d’une boutique parisienne pour obtenir une résonance mondiale grâce aux réseaux sociaux ». Car tout est possible en termes de création avec l’impression 3D. Elle se plie à toutes les formes, des plus simples aux plus complexes. Et cette liberté de design s’accompagne par ailleurs d’une grande précision. « Cela permet de produire des objets qui ressemblent trait pour trait à la création initiale, qu’il s’agisse d’un produit ou d’un personnage. Quand Disney nous commande Mickey, ils attendent une reproduction fidèle. Seul un fichier 3D le permet », justifie Christophe Gomy, président de l’imprimeur Paradis Expansion.
MASSIVIT EN PORTE-ÉTENDARD
Apparu en 2013, le constructeur israélien Massivit cristallise depuis lors la vague d’engouement pour l’impression 3D grand format.Historiquement baignée dans une culture évènementielle, l’entreprise se distingue de ses concurrents par l’exploitation d’une technologie exclusive : le Gel Dispensing Printing (GDP). Un procédé consistant à déposer des couches successives de gel photopolymère, lequel durcit instantanément au passage de lampes UV intégrées dans les têtes d’impression. Cette méthode brevetée offre un gain de temps considérable comparé aux autres procédés de fabrication additive, tel que le populaire FDM (Fused Deposition Modelling), qui se base sur le dépôt de filaments. La machine Massivit 1800, en capacité d’éditer des pièces d’1,80 mètre, peut ainsi atteindre une vitesse de production de 35 centimètres par heure sur un axe Z.
Sans cette technologie avancée, certains projets seraient impossibles à mener dans des délais toujours plus courts, en particulier dans l’évènementiel. « Nous avons été sollicités par la marque française No Name, dans le cadre de la Fashion Week, pour livrer une basket géante. Nous l’avons réalisée de A à Z en quelques jours. Cela aurait été impensable avec une autre machine », confie Eric Pessarossi, gérant du prestataire isérois Deko 3D.
Paradis Expansion fait aussi partie de la poignée d’imprimeurs français qui ont investi dans une solution Massivit au cours des dernières années. Pour la société, basée en région parisienne depuis 35 ans, il s’agissait de « se démarquer de la concurrence », selon son dirigeant. « Au-delà d’être un outil formidable, posséder une Massivit dans son atelier, cela fait parler. C’est un outil de communication et un argument commercial », explique Christophe Gomy. Mais si la 3D fait tourner les têtes, cette technique d’impression n’est pour autant pas à la portée de tous.
UNE IMPRESSION QUI NE S’IMPROVISE PAS
La fabrication additive ne se réduit pas à l’achat d’une imprimante. Trois étapes doivent être maîtrisées pour livrer un projet : en premier lieu, la conception d’un fichier 3D, qui constitue une tâche loin d’être aisée pour qui n’est pas spécialiste. Vient ensuite le temps de l’impression, puis celui de la finition. Cette dernière étape constitue une part essentielle du processus, en termes d’exigence comme de temps passé. C’est pourquoi des compétences techniques autres qu’en impression stricto sensu multiplient les chances de s’imposer dans le monde de la 3D.
Deko 3D s’appuie ainsi sur son expertise du polystyrène. Après avoir investi dans une machine de découpe à fil chaud, la société a complété son parc par une imprimante Massivit. « Associer les deux techniques s’avère complémentaire. Pour la basket No Name, qui mesurait près de quatre mètres, la semelle expansée n’a pas été imprimée en 3D, car cela aurait gâché beaucoup de matière. Elle a donc été réalisée en polystyrène et le reste de la chaussure a été imprimé en 3D », précise Eric Pessarossi.
Quant à Paradis Expansion, c’est son savoir-faire dans la sculpture qui apporte une aide précieuse. « Nous avons travaillé, pour le Musée Grévin, sur un personnage de dessin animé. Il a été imprimé avec notre Massivit, mais les autres éléments de décor ont été sculptés, pour des raisons de coût », explique Christophe Gomy. Le dirigeant assimile l’impression 3D à la carrosserie : « Pour les pièces complexes, 80 heures de travail sont parfois nécessaires après l’impression, entre la consolidation intérieure, l’assemblage éventuel et les finitions de peinture ».
« Pour les pièces complexes, 80 heures de travail sont parfois nécessaires après l’impression, entre la consolidation intérieure, l’assemblage éventuel et les finitions de peinture », Christophe Gomy, président de Paradis Expansion
L’importance de cette maîtrise technique peut décourager plus d’un imprimeur, face à l’ampleur de la tâche. C’est le cas d’un prestataire français, qui a jeté l’éponge et revendu sa solution 3D grand format après trois ans d’exploitation : « La création des fichiers est complexe et la finition demande trop de temps. C’était devenu ingérable et trop contraignant, en plus de nos activités historiques. D’autant plus que les marchés étaient plutôt rares », justifie son dirigeant.
TROP D’ATTENTE ?
Après un certain emballement au moment de son émergence, l’impression 3D grand format semble en effet connaître un léger essoufflement. Dans le domaine de la communication visuelle, quelques opérations spectaculaires sont encore relayées sur les réseaux sociaux, mais l’enthousiasme des débuts semble évanoui. La déferlante attendue n’a donc pas eu lieu. Mais l’attente n’était-elle pas trop grande ? « Il y a eu trop de buzz dans les médias autour de l’impression 3D il y a quelques années. Certains dirigeants de grandes entreprises annonçaient que cela allait tout changer, alors que la réalité est différente, reconnaît Pieter Machtelinckx, responsable marketing EMEA chez Massivit. Il existe une croissance continue chaque année, mais l’impression 3D ne remplacera jamais toutes les technologies : dans certains cas, elle est plus appropriée et dans d’autres non ».
« Certains dirigeants de grandes entreprises annonçaient que l’impression 3D allait tout changer, alors que la réalité est différente, Pieter Machtelinckx, responsable marketing EMEA chez Massivit
À date, l’impression 3D pour la communication visuelle est qualifiée de « micromarché » ou de « marché de niche » par les entreprises équipées en solutions. Trop peu de projets ont émergé sur le territoire français jusque-là. « Je m’attendais à un peu plus de demande, mais je ne regrette pas notre investissement, car des clients s’y sont intéressés et cela nous donne l’image d’une entreprise qui investit sur l’avenir », positive Christophe Gomy.
DES FREINS AU DÉVELOPPEMENT
Les raisons de ce faible développement sont diverses. L’impact de la crise sanitaire n’est bien entendu pas neutre sur ces deux dernières années, en particulier dans l’évènementiel. Cela a lourdement influé sur l’orientation du marché, car de nombreux projets de grandes marques ont été ajournés. Mais, au-delà de cette problématique conjoncturelle, comment expliquer cette croissance à petits pas ?
Le tarif des prestations constitue une première piste. Un objet grand format en trois dimensions se facture en effet quelques milliers d’euros. Un montant élevé qui surprend parfois certains prospects et qui freine la transformation des devis. Même si ce tarif s’explique en toute logique par l’amortissement du coût d’achat des imprimantes et de la matière première, ainsi que par le temps consacré à la finition.
« La plupart des pays européens sont sensiblement au même stade d’avancement sur la 3D au global », Pieter Machtelinckx, responsable marketing EMEA chez Massivit
Autre entrave au développement de la 3D, le manque d’acteurs proposant ce type d’impression en France. « Le marché demeure confidentiel parce que les imprimeurs ne sont pas équipés en solutions dédiées, donc trop peu de projets émergent. Sans visibilité sur les applications potentielles, la demande ne suit pas. J’aimerais avoir plus de concurrents ! », s’exclame Eric Pessarossi. Si l’émulation manque en France, qu’en est-il dans le reste de l’Europe ? La situation n’apparaît pas plus spectaculaire. « La plupart des pays européens sont sensiblement au même stade d’avancement sur la 3D au global, même si des disparités existent selon les segments d’activité. Nous avons par exemple vendu assez peu de Massivit en Allemagne, car la communication visuelle y est moins avancée qu’en France. Mais maintenant que nous visons l’industrie, l’Allemagne commence à être intéressée », explique Pieter Machtelinckx.
TROUVER DES RELAIS DE CROISSANCE
Automobile, aéronautique, construction : la fabrication additive gagne en effet le monde industriel, qui se montre notamment séduit par la facilité et la rapidité d’exécution pour opérer des tests produits. Massivit l’a bien compris et se positionne à présent aussi sur ce marché. Avec cette figure de proue qui va chasser sur les terres de l’industrie, faut-il s’inquiéter pour le secteur de la communication visuelle, qui peine à décoller ? Non, martèle Pieter Machtelinckx : « Avec le modèle 5000, que nous avons lancé en 2021, nous proposons une imprimante qui est aussi adaptée pour l’automobile, le secteur maritime, etc. Mais ce n’est pas pour autant que nous abandonnons la communication visuelle. C’est un mouvement pour étendre nos marchés, pas pour en changer ». Massivit appuie ce développement par une réorganisation de ses opérations. En mars 2021, l’entreprise a levé des capitaux sur le marché boursier de Tel Aviv et l’équipe européenne a été renforcée.
En qualité de distributeur exclusif de Massivit pour la France, Euromedia approuve cet ajustement stratégique. « Ne cibler que le monde de l’évènementiel aurait été une erreur pour Massivit. Ils fondent de l’espoir sur le marché du prototypage, et à raison, car c’est un marché plus facile à toucher et avec un potentiel commercial plus important. De grands donneurs d’ordre comme Alstom, Renault ou Valeo sont intéressés », analyse Philippe Bouvier.Le distributeur savoyard accompagne d’ailleurs ce type d’acteurs via sa division EM3D, ouverte sur l’industrie comme sur l’évènementiel.
Mais si les perspectives commerciales sont alléchantes, tous les imprimeurs équipés en Massivit ne sont pas prêts à frayer avec le milieu industriel. Autre culture, besoins différents… les freins sont nombreux. « Nous n’envisageons pas du tout d’aller sur la 3D industrielle. Ce n’est pas notre métier. Et il y a une place à prendre dans la communication visuelle », affirme Eric Pessarossi chez Deko 3D. Même son de cloche chez Paradis Expansion, qui n’a pas non plus prévu de se lancer dans le prototypage à court terme.
PÉDAGOGIE ET MÉDIATISATION
L’objectif du moment tient donc dans la démocratisation définitive de l’impression 3D dans le secteur de la communication. Pour ce faire, un gros travail de fond doit être réalisé : d’une part pour expliquer comment fonctionne la technologie, et d’autre part pour savoir quelles sont ses applications. Car de nombreux donneurs d’ordres ne savent que peu de choses concrètes sur le sujet. Cet univers reste nouveau et certaines idées préconçues semblent bien ancrées.
« Les demandes en 3D affluent chaque semaine, mais une méconnaissance persiste. Une personne sur deux ne sait pas qu’il faut un fichier spécifique. Certains pensent aussi qu’il suffit d’appuyer sur un bouton pour que le projet soit imprimé. Donc on fait beaucoup de pédagogie », confie Eric Pessarossi. « Certains clients jugent les devis hors de prix, car ils ont en tête l’image de l’impression 3D filamentaire, vendue à quelques centaines d’euros. Mais le grand format, c’est tout autre chose », abonde Christophe Gomy.
« Certains clients jugent les devis hors de prix, car ils ont en tête l’image de l’impression 3D filamentaire, vendue à quelques centaines d’euros. Mais le grand format, c’est tout autre chose », Christophe Gomy, président de Paradis Expansion
Il existe par ailleurs un besoin de médiatiser les possibilités offertes par la 3D. Chez Massivit, Pieter Machtelinckx joue régulièrement les évangélisateurs. « Quand nous rencontrons des prospects sur des salons, ils déclarent avoir eu vent de la 3D, mais ils ne perçoivent pas toujours l’usage. Ils ouvrent de grands yeux quand on leur présente des exemples d’applications, car ils connaissent mal les bénéfices de la technologie. Soit car ils pensent que cela ne leur est pas destiné, soit car on ne leur a pas donné les bonnes informations ».
Sur le marché hexagonal, chez les imprimeurs comme les constructeurs, l’optimisme est de mise pour les années qui viennent. La reprise est là et les projets de communication devraient fleurir. L’accueil d’évènements d’envergure sur le territoire français, comme la Coupe du Monde de rugby 2023 et les Jeux Olympiques 2024, et la ribambelle d’actions de promotion qui les accompagneront, donneront à coup sûr un nouvel élan à la 3D grand format. Couche après couche, cette technologie d’impression pourrait alors enfin faire son trou dans la communication visuelle.
UN MARCHÉ ENCORE CONFIDENTIEL
Au registre des freins au développement de l’impression 3D grand format, on retrouve notamment le manque d’acteurs proposant ce type d’impression en France. À l’heure actuelle, le constructeur israélien Massivit n’a installé que huit machines dans l’Hexagone, même si le fabricant assure que de nouveaux projets sont en cours pour cette année. « Le marché demeure confidentiel parce que les imprimeurs ne sont pas équipés en solutions dédiées, donc trop peu de projets émergent. Sans visibilité sur les applications potentielles, la demande ne suit pas. J’aimerais avoir plus de concurrents », estime Eric Pessarossi, gérant de la société Deko 3D.